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Le tourisme et le développement durable

Le tourisme est une industrie qui a connu une croissance exponentielle au 20ème siècle et qui représente aujourd’hui un emploi sur 11 et 10 % du PIB mondial. Ce secteur recouvre plusieurs réalités et occasionne une foule d’impacts sur les écosystèmes locaux, sur le climat et sur les populations qui accueillent les touristes.

En effet, les déplacements de milliards de personnes exigent des moyens de transport, avions, bateaux, trains, autocars et voitures qui consomment des carburants fossiles et contribuent pour une part non négligeable aux changements climatiques. Il faut aussi loger les touristes, leur offrir des conditions de séjour agréables et sécuritaires, gérer les déchets qu’ils produisent. Selon ce qu’ils recherchent comme dépaysement, il faut leur fournir un accès à la mer, à la montagne, aux populations d’animaux sauvages, aux sites patrimoniaux, aux paysages remarquables, aux manifestations culturelles ou sportives, bref à une expérience unique susceptible d’enrichir leurs vacances. Cela occasionne pour les gens qui accueillent les touristes des emplois, bien sûr, mais souvent précaires et une pression sur la culture locale qui ne devient plus souvent qu’une caricature mise en spectacle.

Par définition, les touristes sont de passage. On les apprécie d’autant plus qu’ils laissent de l’argent dans les communautés qui les accueillent, mais cela ne va pas sans causer d’énormes problèmes. L’Organisation mondiale du tourisme en a d’ailleurs pris conscience dans les années 1990 et de nombreux travaux ont été réalisés pour poser les bases d’un tourisme durable qu’on définit comme une activité touristique qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil.

 Le 18 janvier dernier, était lancée à Madrid la programmation de l’année internationale du tourisme durable pour le développement. Cette thématique a été retenue par les Nations Unies en raison de l’importante contribution que le tourisme, comme activité économique, peut amener pour le développement de toutes les nations, et en particulier des régions périphériques et des pays les moins industrialisés. Sachant l’importance qu’il représente, le secteur du tourisme, s’il est bien géré, peut contribuer à une croissance économique inclusive, à la cohésion sociale ainsi qu’à la protection des ressources culturelles et naturelles. L’Année internationale vise à encourager un changement dans les politiques, les pratiques commerciales et le comportement des consommateurs allant dans le sens d’un développement durable.

Comment intégrer le développement durable dans des formes de tourisme aussi diversifiées que le tourisme de plage, l’écotourisme, le tourisme d’affaires, le tourisme d’aventure, les croisières, les festivals et les manifestations sportives ? La préoccupation doit être partagée à la fois par les promoteurs, les professionnels, les autorités municipales et nationales, les travailleurs et les touristes eux-mêmes. Mais pour que tous puissent y contribuer, il faut rendre cette volonté explicite et fournir des moyens d’agir.

À ma connaissance, la région ne semble avoir mis de l’avant l’Année internationale du tourisme durable. Pourtant, notre région a une longueur d’avance dont nos élites ne semblent pas être conscientes. La Chaire en éco-conseil a développé des outils qui sont disponibles gratuitement et à la portée de chacun pour y contribuer. Que ce soit par le guide des évènements éco-responsables, les outils d’analyse de développement durable, la possibilité d’offrir la compensation carbonique, nous avons travaillé dans les quinze dernières années à outiller les gens de bonne volonté.

L’Association touristique régionale, Promotion Saguenay, le CQDD et la SEPAQ et nos pôles touristiques ne devraient-ils pas s’associer pour mettre en valeur la contribution de l’activité touristique de la région au développement durable ? Il n’est pas trop tard pour y penser.

Claude Villeneuve, biologiste

Le passage du Nord-Ouest, rêve ou réalité ?

L’automne dernier, un navire chargé de charbon a relié le port de Vancouver au port d’Helsinki en Finlande. Anecdote ou présage ?

 Le Passage du Nord-Ouest reliant l’Atlantique et le Pacifique par l’océan Arctique en passant par le nord du Canada est un vieux rêve. En 1847-48, l’expédition de Sir John Franklin a péri corps et biens en tentant de rallier pour la première fois les deux océans par le nord du Canada. On vient tout juste de retrouver les deux navires Erebus et Terror qui en témoignent (http://www.pc.gc.ca/fra/culture/franklin/index.aspx). Ce n’est qu’en 1905-1906 que l’explorateur norvégien Roald Amundsen a réussi l’exploit sur son petit voilier. Depuis une dizaine d’années, en raison du réchauffement du climat planétaire, qui est plus marqué dans l’Arctique, de plus en plus de bateaux de petite taille font la traversée. Cela suscite beaucoup d’intérêt politique et commercial. En effet, le Passage du Nord-Ouest permet de raccourcir considérablement la distance à parcourir pour relier l’Europe et l’Asie. C’est le cas, du moins pendant la saison où il est libre de glace c’est-à-dire environ dix semaines. Toutefois les modèles climatiques permettent de croire que cette période passera rapidement à trois ou quatre mois d’ici 2030.

 La pression de concurrence qui s’exerce sur les entreprises de transport maritime à l’échelle internationale oblige ces dernières à examiner toutes les options qui s’offrent pour diminuer les coûts. Par exemple, emprunter le canal de Panama coûte cher, mais cela évite d’avoir à contourner l’Amérique du Sud. C’est la même chose pour le canal de Suez qui évite de contourner l’Afrique. Ces canaux ont toutefois un gabarit qui n’accommode pas nécessairement les plus grands navires ou qui réduit leur charge utile en raison du tirant d’eau. Plusieurs armateurs préfèrent donc emprunter des voies plus longues, malgré les coûts de carburant et d’équipage. La disponibilité d’une voie maritime alternative plus courte est certes une perspective alléchante.

 Mais il y a loin de la coupe aux lèvres ! La navigation dans l’Arctique présente encore de nombreux risques qui ne sont pas prêts de s’atténuer. D’abord, les glaces exigent que les navires aient des coques renforcées et les routes de navigation ne sont pas aussi bien balisées que dans d’autres secteurs comme par exemple le Golfe du Saint-Laurent où il faut tout de même des pilotes spécialisés. En cas d’avarie il n’existe pas d’infrastructures, pas de port, pas de base de la garde côtière dans l’Arctique canadien. Les navires qui veulent s’y engager devraient donc bénéficier d’un service spécial pour compléter leur périple, ce qui coûterait sans doute très cher, soit au Gouvernement canadien, soit aux armateurs qui voudraient bénéficier du service. Il y a aussi les risques environnementaux dont il faut tenir compte. Les coûts d’un accident écologique dans l’Arctique seraient ruineux.

 C’est plus vraisemblablement l’exploitation des ressources naturelles dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut et dans la mer de Beaufort qui pourraient justifier le besoin d’une voie maritime comme le Passage du Nord-Ouest. En effet, il n’existe pas de lien routier ou ferroviaire entre les communautés de l’Arctique et le Sud. Il est donc à peu près impossible de sortir les minerais, le pétrole ou le gaz naturel qu’on pourrait y exploiter. Et, si la tendance se maintient, avec le réchauffement du climat et l’augmentation de la demande mondiale de matières premières, les ressources de l’Arctique pourraient se voir mises à contribution. Le gouvernement américain et le gouvernement canadien ont accordé dans les trente dernières années de nombreux permis d’exploration tant sur le continent qu’en mer et les découvertes sont prometteuses. Selon les intérêts économiques et politiques qui sont en jeu, l’avenir n’est pas écrit. Le Passage du Nord-Ouest ne dépend pas que du réchauffement du climat.

Glace mince !

Les effets les plus remarquables des changements climatiques s’observent dans l’arctique, et plus particulièrement sur l’océan arctique. Au vingtième siècle, ce dernier était couvert par la banquise sur la majeure partie de sa superficie à l’année longue. Entre la fin de septembre et le mois de juin, l’extension des glaces est positive, alors qu’en été, le couvert de glace disparaît, permettant la navigation au pourtour de la banquise. C’est à peu près la période où les villages du Nord du Canada peuvent être approvisionnés par la voie maritime. Naturellement, d’une année à l’autre la température moyenne peut varier, tout comme la durée de la période d’eau libre. Les glaces qui restent en été sont plus épaisses à chaque année. Il y a donc des glaces de plusieurs âges dont l’épaisseur reflète la rigueur du climat. Depuis les années 1990, la glace de plus de cinq ans a rapidement disparu si bien qu’aujourd’hui les glaces les plus épaisses ont deux ou trois ans. Naturellement, la glace moins épaisse fond plus rapidement l’été venu. Cela explique que la surface couverte par la banquise en septembre a connu une baisse de 13% par décennie depuis 1980.

 En 2016, l’arctique a commencé à montrer d’étranges symptômes. Au lieu de s’agrandir à la fin de septembre, la banquise a continué de rétrécir. Au pôle nord, la température s’est maintenue jusqu’à 20 degrés plus chaude qu’à la normale, si bien qu’on retrouvait de vastes surfaces à l’eau libre jusqu’en janvier dernier. Si l’automne dernier a été bizarre, ce sont les étés qui inquiètent les scientifiques car aussi tôt qu’en 2030, la banquise pourrait avoir pratiquement disparu de la surface de l’océan arctique. En effet, l’océan est un réservoir d’énergie qui accumule la chaleur lorsqu’il est libre de glace. Une glace plus mince fond plus rapidement, libérant une surface capable d’emmagasiner plus de chaleur plus longtemps. Cela aura des conséquences multiples pour les écosystèmes, les populations locales et même pour nous à quelques milliers de kilomètres plus au sud.

Pour des espèces qui dépendent du couvert de glace pour s’alimenter comme l’ours polaire, pour mettre bas comme les phoques ou pour se reposer comme les morses, la disparition de la banquise pose un énorme problème. En effet, ces animaux vont se retrouver concentrés sur les plages ou sur les îlots rocheux. Or, il y a beaucoup moins d’espace, ce qui risque de créer une compétition accrue et une influence directe sur la capacité de l’habitat. Moins d’habitat signifie moins de faune, c’est mathématique.

L’effet refroidissant de la banquise maintient aussi la température plus basse sur le continent. Tous ceux qui vivent sur le pourtour du lac Saint-Jean connaissent bien le phénomène. L’absence de glace sur la mer va accélérer la fonte du pergélisol et, comme on le voit plus au sud, l’absence de glace va augmenter l’effet de l’érosion sur les côtes. Pour les communautés inuit, les impacts seront énormes. Il faudra déménager certains villages et leur mode de vie traditionnel sera d’autant plus perturbé.

 Plus généralement, le stock de glace sur l’océan arctique influence le trajet du courant jet qui détermine en bonne partie la variabilité climatique à nos latitudes. Les anomalies climatiques, sécheresses, précipitations diluviennes, canicules, que nous observons en Amérique du nord, en Europe et en Russie vont donc continuer de s’amplifier.

Les modèles informatiques qui permettent d’anticiper le climat à venir ont tendance à sous estimer systématiquement la vitesse à laquelle évolue la banquise arctique. Les mesures comprises dans l’Accord de Paris, si elles sont finalement appliquées rigoureusement ne pourront probablement rien pour remédier à cet amincissement de la banquise. Les prochaines décennies nous réservent des surprises !

Le réveil de l’obscurantisme ?

2016 a été, sans surprise, l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis qu’on mesure cette donnée à l’échelle du globe. C’est la troisième année la plus chaude d’affilée, la dix-septième en dix-huit ans. Pour les scientifiques qui étudient le sujet, cela n’est pas étonnant.  Au même moment, par un décret présidentiel, Donald Trump, nouveau président des Etats-Unis, exige le retrait de toute référence au phénomène des changements climatiques sur le site internet de l’Agence de protection de l’environnement (EPA). Le nouveau responsable, Scott Pruitt, un climato-sceptique avéré, vient d’être confirmé en poste par le Congrès. Du même coup, le président interdit aux scientifiques à l’emploi du gouvernement américain de répondre aux questions des journalistes ou du public et lance une chasse aux sorcières contre les gens qui ont été impliqués dans la négociation de l’Accord de Paris.

 Il ne faut pas être grand devin pour prédire que les coupures budgétaires pour la recherche ne vont pas tarder. Quatre années de vaches maigres signifient probablement un retard d’au moins dix ans par la suite pour les équipes de chercheurs. En effet, dans un monde de tracasseries administratives, de pénurie de moyens et d’inhibition de l’action, beaucoup de scientifiques seniors prendront leur retraite, certains iront se joindre à des équipes étrangères, il y aura un déficit d’étudiants aux cycles supérieurs et d’emplois en recherche pour les diplômés. Museler les scientifiques équivaut à plonger les citoyens dans l’obscurité. Même si ces efforts pour nier l’évidence sont dommageables, il est puéril de croire que les « faits alternatifs » qui soutiennent les propos climat-sceptiques vont s’imposer. En science, la vérité doit être démontrée, pas révélée.

 « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées ». Cette tirade de Molière dans « Le Tartuffe » date de 350 ans et dénonce l’hypocrisie. Ce que nous proposent les Républicains de Donald Trump s’inscrit en plein dans cet esprit. J’en prends à témoin un autre décret du président la semaine dernière rétablissant l’interdiction d’accorder du financement aux organisations d’aide internationale qui font la promotion du contrôle des naissances et de l’avortement. Ce diktat résulte d’une réclamation maintes fois répétée de la droite religieuse américaine qui constitue la base militante des Républicains. Encore une fois, comme la négation des changements climatiques, on refuse de voir les faits, pourtant clairement établis par la science associant la maîtrise de la fertilité des femmes et la sortie du sous-développement. C’est une question complexe, mais il y a un lien direct entre l’éducation des femmes, la santé et le développement économique et social et cela passe par le contrôle de leur corps.

 Et les deux sujets sont plus proches qu’on pourrait croire. Les changements climatiques sont directement liés à l’utilisation des carburants fossiles, à l’agriculture, à la déforestation et aux émissions de gaz à effet de serre qui en résultent. Or, plus il y a de monde sur la planète, plus il faudra d’énergie, de produits agricoles et moins il y aura de forêts. Par ailleurs, les populations les plus vulnérables aux évènements catastrophiques qui résultent des changements climatiques sont des populations pauvres dont la démographie est galopante et qui dépendent étroitement de l’agriculture de subsistance.  Les femmes sont d’autant plus vulnérables dans ces populations qu’elles ne sont considérées qu’en fonction de leur fertilité.

 Doit-on désespérer devant les orientations du nouveau président américain ? Les quatre prochaines années nous réservent sans doute bien des surprises, et pas des meilleures, mais les Etats-Unis ne sont plus la puissance mondiale prépondérante qu’ils ont été. N’en déplaise au Bible belt, les faits étayés par la science constituent un rempart contre l’obscurantisme.

La température, un facteur déterminant

« Heureusement qu’il y a l’hiver, pour congeler les bibittes ! » chantait jadis Dominique Michel. Cette formulation populaire vient de trouver un fondement plus sérieux dans une étude (http://www.nature.com/articles/ncomms13736) parue fin décembre dans la revue Nature. La question de l’augmentation de la biodiversité (nombre d’espèces retrouvées par unité de surface) à mesure qu’on s’éloigne des pôles vers l’équateur fascine les biologistes depuis Charles Darwin, mais la réponse, malgré plus d’un siècle de recherche n’était pas si évidente. Il faut dire que le même phénomène s’observe à mesure que l’on s’éloigne du niveau de la mer en altitude.

L’étude, menée par l’équipe d’Ingolf Steffan-Dewenter, écologue à l’université de Würzburg (Allemagne) conclut que parmi tous les facteurs écologiques, c’est la température qui a l’effet le plus déterminant pour expliquer le phénomène. Cela peut sembler tomber sous le sens, mais ce n’est pas si évident à prouver.  L’étude, effectuée en entre 871 et 4650 mètres d’altitude, sur les flancs du mont Kilimandjaro en Tanzanie est la première qui intègre autant d’espèces :  8 groupes de végétaux et 17 d’animaux, des fourmis aux chauves-souris en passant par les escargots, les abeilles, les araignées et les oiseaux. À partir des observations de terrain, elle a permis de développer une modélisation mathématique qui s’applique aussi bien en altitude qu’en latitude. Comment est-on arrivés à cette conclusion?

D’abord, il fallait distinguer entre deux hypothèses. L’effet de la température en était une. L’hypothèse concurrente préconisait que la productivité végétale  (la quantité de biomasse végétale produite par hectare) était le facteur déterminant. Mais, la productivité végétale est elle-même influencée par la température. Les précipitations et la disponibilité des éléments nutritifs sont aussi en jeu pour expliquer la productivité végétale. La température est donc une condition sine qua non pour la biodiversité et le modèle nous permet de prévoir le phénomène. On pourrait s’arrêter là. Mais une autre étude publiée dans la revue Science le 29 septembre (http://science.sciencemag.org/content/353/6307/1532) par une équipe danoise montre que la température est aussi étroitement corrélée avec la variabilité génétique à l’intérieur d’une même espèce. Autrement dit, plus il fait chaud, plus on a d’espèces différentes présentes sur un territoire donné et plus les individus qui composent ces espèces montrent une variété de différence entre eux. Une plus grande variabilité génétique au sein d’une même espèce est un facteur de résilience et d’adaptabilité.

Comment cela nous affecte-il dans un pays nordique, où les températures moyennes annuelles dépassent à peine le point de congélation ? Ces deux études nous permettent de postuler que nos espèces sont non seulement moins nombreuses, mais aussi moins diversifiées génétiquement. Cela signifie qu’elles sont plus fragiles à des modifications de la température. Or, nous vivons un réchauffement du climat qui se traduira par des moyennes de température plus élevées affectant les espèces les mieux adaptées au froid et favorisant les espèces invasives de toutes sortes qui viennent du sud. Cela permet aussi de poser des hypothèses sur les importantes fluctuations que connaissent périodiquement des populations animales dans la toundra et la forêt boréale. Comment réagirons nous si le climat continue de se réchauffer ? Personne n’a de réponse aujourd’hui.

La recherche n’a pas réponse à toutes nos questions, loin s’en faut. En revanche, chaque progrès dans l’avancement des connaissances permet de mieux comprendre notre monde et d’en anticiper l’évolution, ce qui justifie de nouvelles études. Lorsque nos gouvernements coupent dans les budgets destinés à la recherche, ils affaiblissent notre capacité de trouver des réponses adéquates.  Cet aveuglement volontaire pourrait coûter gros.

L’ironie du char ?

C’est la période des Fêtes. Sur les routes enneigées, pas de clochettes qui tintent dans la nuit. Le bon pépère cramoisi aurait bien du mal à se promener dans la congestion automobile ! Gageons que ses caribous forestiers (ceux de la toundra sont en voie de disparition paraît-il !) seraient klaxonnés. Sur les routes où circulent les voitures, il n’y a de place, ni pour les gens, ni pour les bêtes. Une étude parue dans Science le 16 décembre indique qu’une route a des impacts environnementaux sur 1 kilomètre de la chaussée. Ironie du char…

 L’automobile représente la deuxième dépense des ménages québécois, tout juste après le logement, mais bien avant la nourriture. Pourtant l’industrie automobile crée très peu d’emplois au Québec et tout notre pétrole est importé. Ironie du char…

 Vous souvenez-vous de la bataille des écologistes contre la centrale au gaz Le Suroît ? Greenpeace disait alors que la centrale allait produire autant de pollution de l’air que l’équivalent de 20 000 voitures supplémentaires sur nos routes à chaque année (http://www.greenpeace.org/canada/fr/archive/presse/communiques/le-suro-t-equivaut-a-20-000-vo/). Or, de 2006 à 2013, il s’est ajouté en moyenne 80 000 véhicules par année au Québec. Cette tendance s’est poursuivie depuis pour porter le parc automobile québécois à plus de 4,5 millions de véhicules à la fin de 2015, ce qui augure mal pour la qualité de l’air urbain et la lutte aux changements climatiques ! Ironie du char ?

 Il manque toujours de places de stationnement quand on veut aller quelque part. Ces stationnements sont pourtant vides en dehors des périodes d’affluence. À l’UQAC, on a évalué qu’une place de stationnement exigeait 48, 5 mètres carrés de surface dédiée (plus qu’un appartement de 4 et 1/2 pièces). Cette surface a une valeur foncière, mais il faut aussi la déneiger, y peindre des lignes, en assurer la sécurité et la paver à l’occasion. Les usagers ne payent qu’une petite partie de ces coûts qui sont reportés sur la collectivité, les commerces ou les institutions. Chaque automobile exige en moyenne trois places de stationnement (une à la maison, une dans les commerces et une au bureau) qui ne peuvent naturellement pas être utilisées en même temps. On manque d’espace pour les parcs, les pistes cyclables, les logements sociaux. Ironie du char ?

 L’automobile moyenne au Québec est utilisée environ une heure par jour. Cet instrument de mobilité est donc immobile à plus de 95% de son existence. Ironie du char ?

 Beaucoup de gens n’aiment pas l’hiver parce que les automobiles n’y sont pas bien adaptées. Elles démarrent mal par temps très froid, prennent du temps à être dégivrées, exigent qu’on déneige constamment les routes et les stationnements pour éviter les accidents, consomment beaucoup plus d’essence par kilomètre (surtout si on laisse tourner le moteur à l’arrêt). On s’habille plus légèrement sous prétexte que l’habitacle est chauffé, mais on gèle pour y monter ou en descendre. Ironie du char ?

 Notre monde ne peut plus se penser sans auto ? J’ai bien peur que vous n’ayez raison. Mais s’il y a un endroit où il est facile de faire des gains d’efficacité énergétique, d’efficacité économique et de réduction de la pollution au Québec, c’est dans le domaine du transport. Puisque l’automobile est à la portée de tous, nous avons tous le pouvoir d’agir. Et comme la nature humaine a horreur des efforts, il faut aussi que nos municipalités, notre gouvernement provincial et nos entreprises nous aident un peu.

« L’ironie du char » est le titre d’un livre sur l’automobile et la crise des transports à Montréal publié par Jean-Paul Dagenais en 1982 De toute évidence, 35 ans plus tard, la question est toujours d’actualité et les problèmes n’ont cessé d’empirer. Pensons-y ensemble en 2017.

Claude Villeneuve 
 Professeur titulaire
 Directeur de la Chaire en éco-conseil
 Département des sciences fondamentales
 Université du Québec à Chicoutimi

Catastrophe en vue ?

Il y a des articles scientifiques qui frappent l’imagination. Certains ouvrent de nouvelles perspectives étonnantes, d’autres laissent entrevoir des catastrophes. C’est le cas d’un papier publié le 1er décembre dans la prestigieuse revue Nature qui donne une mesure de l’évolution du carbone des sols dans un contexte de réchauffement climatique (http://www.nature.com/nature/journal/v540/n7631/full/nature20150.html). Si on en croit les prévisions de cette équipe internationale, une véritable catastrophe planétaire est possible si on ne réussit pas immédiatement à stopper le réchauffement du climat induit par l’activité humaine.

On sait depuis longtemps que le plus grand réservoir de carbone continental se trouve dans les sols. Qu’il s’agisse des sols agricoles, forestiers, ou du pergélisol de l’Arctique, le carbone s’y présente sous diverses formes. On y trouve surtout de la matière organique provenant des restes de plantes et du CO2 qui résulte du métabolisme des racines et des microorganismes du sol (bactéries, champignons et invertébrés. Les sols échangent le carbone avec l’atmosphère parce que les plantes le captent par la photosynthèse et que la décomposition produit du CO2 en présence d’oxygène et du méthane lorsque l’oxygène est absent. Dans le pergélisol, les échanges sont très lents.

Les chercheurs ont regroupé les données de 49 expériences analysant la réponse des sols à la hausse de température en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Certaines de ces études couvrent plus d’une dizaine d’années. En gros, les conclusions montrent que les flux de carbone vont s’accélérer avec une augmentation de la température, mais que le flux net des sols vers l’atmosphère va dominer, surtout dans les sols nordiques et en particulier le pergélisol. Selon leurs estimations, pour un réchauffement de un degré supplémentaire à aujourd’hui, ces émissions pourraient dépasser la contribution des Etats-Unis d’ici 2050. Cela excède l’ensemble des efforts mondiaux de lutte aux changements climatiques actuellement prévus pour limiter la hausse à moins de 2 degrés. Ce serait bien sûr catastrophique.

Jusqu’ici, le pergélisol était une inconnue dans les modèles climatiques. On ne pouvait l’y intégrer en raison des trop grandes incertitudes. L’étude signée par plus de 50 scientifiques réduit cette incertitude et démontre qu’il faudra tenir compte de cette boucle de rétroaction positive (plus de réchauffement entraîne plus d’émissions qui occasionnent plus de réchauffement) dans les futures modélisations. Mais il reste encore beaucoup de choses à préciser avant de prédire l’emballement irréversible de la machine climatique. Heureusement !

Il s’agit d’une possibilité dont nous devons tenir compte et qui augmente encore l’urgence d’agir si cela n’était pas encore assez clair. Dans ce contexte, il faut apporter aux sols une attention particulière dans notre gestion du climat. Dans nos régions, cela veut dire augmenter la captation de carbone, par exemple par des plantations en zone boréale (http://carboneboreal.uqac.ca). Il faut aussi enrichir les sols agricoles pour y stocker un maximum de carbone. On peut y arriver en adoptant le semis direct, les engrais verts mais aussi en ajoutant aux sols qui s’y prêtent, du biocharbon ce qui en augmentera à la fois la fertilité et la teneur en carbone stable.

C’est bien beau, mais ce sera insuffisant. Il faut d’abord agir à la source, sur les émissions qui provoquent le réchauffement. Dans ce cadre, il serait avisé de remettre en question le développement du pétrole des sables bitumineux, les pipelines pour le transporter et la fracturation hydraulique comme mode de production du gaz et du pétrole de schiste. Il faut aussi réduire la demande en utilisant des véhicules plus efficaces et moins gourmands. On dira que c’est contre productif pour l’économie à court terme, mais on n’a pas le choix. L’économie s’adaptera plus vite que le climat.

Claude Villeneuve
 Professeur titulaire
 Directeur de la Chaire en éco-conseil
 Département des sciences fondamentales
 Université du Québec à Chicoutimi
 claude_villeneuve@uqac.ca

Événement éco-conseil 2017

Comme chaque année les étudiants du DESS en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) organisent un événement éco-responsable axé sur le développement durable. L’événement se déroule du lundi 17 au jeudi 19 janvier 2017 sur le thème des alternatives alimentaires avec deux journées d’activités de sensibilisation et se termine par un colloque. L’objectif est de sensibiliser le public aux problèmes liés aux modes de production, de transformation, de distribution et de consommation d’aujourd’hui. Nous voulons également présenter des solutions et alternatives alimentaires, qui pourraient être les fondements de l’alimentation de demain.

Voir le site :

http://www.uqac.ca/evn2016/

 

Une limite à la transition énergétique

La 22ème conférence des Parties sur le climat (CdP22) vient de se terminer à  Marrakech. Elle a été l’occasion du dépôt de plusieurs analyses et prospectives concernant les moyens à prendre pour limiter l’augmentation de la température planétaire en bas de 2 degrés au 21ème siècle. Le domaine de l’énergie a été mis en vedette, comme il se doit car c’est de ce secteur que proviennent la majorité des émissions de gaz à effet de serre (GES) affectant le climat planétaire. C’est donc dans le secteur des carburants fossiles qu’il faut porter les premiers efforts pour réduire les émissions de GES car ils représentent encore 80% de l’approvisionnement en énergie primaire utilisée dans le monde. On a baptisé « transition énergétique » le changement nécessaire pour réduire la dépendance de l’humanité aux carburants fossiles tout en continuant de satisfaire les besoins en services énergétiques (électricité, chauffage, force motrice) d’une population. Au Québec, par exemple, on a fait une certaine transition énergétique en remplaçant le chauffage au mazout par le chauffage à l’hydroélectricité dans les années 1990. La volonté du gouvernement de réaliser une électrification des transports dans les prochaines décennies s’inscrit aussi dans cette transition. Mais au Québec, plus chanceux qu’intelligents, la chose est facile. Notre électricité provient à 99% de sources renouvelables, hydroélectricité et éolienne, et le potentiel est encore important à coût raisonnable. Pour le reste du monde il en va tout autrement avec une demande qui devrait augmenter de près de 50% d’ici 25 ans.

Chaque année, l’Agence internationale de l’Énergie (AIÉ), un organisme de l’OCDE, publie le Global Energy Outlook, un rapport de prospective sur l’évolution de la situation énergétique dans le monde. Dans sa dernière mouture lancée le 16 novembre, l’AIÉ examine divers scénarios de transition énergétique pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Mais cette fois-ci, elle met le doigt sur une limite qu’on n’avait pas vue et qui disqualifie certains de ces scénarios. On y apprend en effet que pour passer des carburants fossiles à d’autres sources d’énergie renouvelables ou à faible impact en émissions de GES comme le nucléaire, le facteur déterminant pourrait bien être la disponibilité de l’eau.

 Les experts de l’AIE rappellent une donnée fondamentale: pas de production d’énergie possible sans eau. Il faut de l’eau pour extraire du charbon, pour faire la fracturation hydraulique, raffiner des hydrocarbures, refroidir des centrales électriques (thermiques et nucléaires), actionner les turbines des barrages, fabriquer des agrocarburants. Même les panneaux photovoltaïques ont besoin d’être dépoussiérés. Naturellement, les besoins de chaque filière sont variables mais les plus beaux projets peuvent se voir limités par la disponibilité de l’eau, surtout dans les zones semi-désertiques. Ce besoin en eau entre en compétition avec la production agricole et l’approvisionnement des industries et des ménages. L’irrigation consomme en effet 70% de l’eau douce que nous prélevons alors que l’eau potable, l’industrie et l’énergie se partagent également le 30% restant. Sur les 400 milliards de mètres cubes prélevés pour l’énergie, aujourd’hui, 87% sert au refroidissement des centrales, 5% à l’extraction d’hydrocarbures et 7% à la production d’agrocarburants. Les filières d’énergie renouvelables sont-elles plus sobres ? Pas nécessairement. S’il faut très peu d’eau pour produire 1 megawattheure (MWh) d’électricité avec un parc d’éoliennes ou une centrale hydroélectrique, la production d’une tonne équivalent pétrole d’éthanol de canne à sucre demande 1 million de litres d’eau et il en faut 1000 litres par MWh avec une centrale géothermique ou solaire.

Rien n’est simple. Dans la planification de la transition énergétique, il faudra avoir une vision globale !

Vingt-cinq ans, minimum !

J’ai assisté jeudi soir avec ma conjointe au cocktail bénéfice qui soulignait les 25 ans du Centre Québécois de Développement Durable (CQDD).  Cet événement avait une grande signification pour moi car j’ai été en 1991 le président fondateur de la Région Laboratoire du développement durable (RLDD) qui a donné le CQDD en 2003. Avant d’en arriver à la création de la RLDD, il avait fallu plusieurs années de travail patient. J’y célébrais donc plutôt un trentième anniversaire.

 Cette soirée très sympathique à l’Hôtel Chicoutimi avait pour but de faire la promotion du CQDD, mais aussi d’apporter du financement à la Fondation du développement durable qui a été créée en même temps que la RLDD. Cinq champions du développement durable de notre région avaient été invités pour l’occasion (Catherine Munger, conseillère principale en environnement de Rio Tinto, Éric Larouche président de l’Hôtel Chicoutimi et Pétrole RL, François Gagné, président de Spectube, Yves Girard, directeur général de la coopérative Nutrinor et Pierre Lavoie, co-fondateur du Grand défi Pierre Lavoie).

 À la lumière de leurs témoignages, trois éléments m’apparaissent indispensables à souligner concernant l’idée du développement durable dans la région du Saguenay Lac Saint-Jean. Ces éléments nous distinguent et nous mettent en avance dans le monde. D’abord, contrairement à l’interprétation  encore largement répandue, quand on parle de développement durable, il ne s’agit pas que de la conservation et de la protection de l’environnement. Nos champions ont parlé d’entreprises prospères, de travailleurs heureux, de saines habitudes de vie, de vitalité culturelle ET d’environnement. Il s’agit d’un progrès manifeste qui aurait été impensable il y a 25 ans. En 1991, on opposait simplement économie et environnement et le modèle des trois sphères (économique, social et environnement) faisait figure d’innovation.

 Deuxièmement, l’importance du changement des valeurs sociales avec le passage des générations a été fortement soulignée. La montée en puissance des valeurs environnementales bien sûr, mais aussi l’ouverture aux autres, le pacifisme, la solidarité entre les humains et la prévention dans le domaine de la santé sont des valeurs nouvelles qui vont caractériser la prochaine génération. Il est plus que temps de s’y préparer.

 Enfin, et ce qui m’a fait le plus plaisir, la reconnaissance du rôle de l’éducation à tous les niveaux et l’intelligence de l’accompagnement plutôt que la confrontation sont ressorties comme les clés de cette transformation sociale qui sous-tend l’idée que le développement puisse être durable. Depuis plus de 40 ans, c’est ma conviction profonde qu’on ne peut changer le monde sans éducation. Par l’éducation, les professeurs du primaire à l’université, les formateurs techniques, les vulgarisateurs scientifiques nous permettent jeunes comme moins jeunes d’envisager les choses autrement, d’ouvrir notre esprit aux différences, d’écouter avant de critiquer, de construire plutôt que de détruire et de découvrir les lois de la Nature pour mieux l’apprécier et la protéger.

 Il y a 25 ans, cela serait passé pour une utopie de « pelleteux de nuages ». Aujourd’hui, c’est un discours articulé qui nous est partagé par des gens d’affaires, des leaders crédibles. Il sera d’autant plus facile pour eux de convaincre leurs pairs et les hommes et femmes politiques qui définiront notre avenir.

 Pendant la soirée, j’ai rencontré plusieurs anciens élèves et des partenaires de la Chaire en éco-conseil qui ont souligné combien la persévérance de notre travail les a influencés et rendus meilleurs pour affronter les défis d’aujourd’hui. Mais le secret du développement durable, c’est le temps. Il ne faut pas avoir peur de voir loin. En 1991, les générations futures se concevaient à l’horizon 2016. Il faut d’ores et déjà envisager le monde de 2041. Longue vie au CQDD !