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L’économie circulaire est-elle une solution ?

En principe, l’économie circulaire est une approche systémique qui s’applique au cycle de vie et à la chaîne de valeurs des produits et des services que nous consommons pour réduire les impacts négatifs du premier et augmenter les retombées positives de la seconde. De façon caricaturale, l’économie linéaire, celle qui domine notre monde actuel, vise à produire plus au moindre coût afin de satisfaire une demande présumée infinie justifiée par les besoins d’humains avides de confort et de nouveauté. On peut ainsi réaliser des profits en maîtrisant les coûts de matériel et de main-d’oeuvre pour déclasser la concurrence, mais aussi en stimulant la demande par la publicité. Tout ce processus est linéaire, c’est-à-dire que chaque étape nourrit la suivante sans retour en arrière. C’est le modèle « extraire-fabriquer-jeter ».

La résultante est qu’on extrait de plus en plus de ressources et qu’on produit de plus en plus de déchets. Tout au long du processus, les entreprises essaient de privatiser des profits et de collectiviser les impacts négatifs, considérés comme des externalités. Cette déresponsabilisation est favorisée par la mondialisation des entreprises et des marchés. Les faibles redevances sur les ressources naturelles, l’absence de règles de protection des travailleurs ou de règles environnementales strictes deviennent des avantages comparatifs qui justifient la délocalisation des entreprises. En revanche, dans une économie circulaire, les étapes de la production, de la consommation et du recyclage sont interdépendantes et pensées en fonction d’une optimisation globale. Cela implique de nombreux changements. D’abord, il faut penser pour les consommateurs en termes de services plutôt que de biens. Il faut donc parler d’une économie de partage. Par exemple, on peut améliorer sa mobilité avec des automobiles ou des vélos qu’on utilise au besoin avec un abonnement.

Dans un tel système, la durée et la qualité des biens deviennent des facteurs de rentabilité. Ils peuvent donc être conçus pour être réparés ; et leurs composantes, pour être recyclées en fin de vie. Idéalement, le fabricant demeure propriétaire de son produit. Cela permet de créer beaucoup plus de valeur par unité produite. Dans le domaine alimentaire, il faut favoriser les chaînes d’approvisionnement courtes grâce auxquelles producteurs et consommateurs peuvent bénéficier des retombées économiques sur un même territoire et recycler les matières fertilisantes localement. Les maîtres mots sont : penser globalement le cycle de vie des produits et services, réduire les pertes et augmenter l’efficacité, responsabiliser les acteurs tout au long de la chaîne de valeur et créer un maximum de retombées positives sur le plan social, économique et environnemental.

Tout cela nécessite un réel changement de paradigme de la part des consommateurs comme des gouvernements et des entreprises. Un des chefs de file dans la promotion de l’économie circulaire est la Fondation Ellen MacArthur, créée en 2010, en Angleterre, mais on retrouve des initiatives à ce sujet un peu partout dans le monde. L’idée est belle, et il faut y travailler. Le développement durable nécessite ce changement. Mais il y a du travail à faire, car le gaspillage et la déresponsabilisation sont bien en selle !

Les modèles ont dit vrai

Les ordinateurs les plus puissants sont aujourd’hui capables de gérer des calculs qui étaient impensables il y a même vingt ans et la perspective des ordinateurs quantiques laisse croire que cette tendance n’est pas près de s’arrêter. Depuis trente ans, des équipes spécialisées, un peu partout dans le monde, ont construit des programmes qui permettent de modéliser le climat à l’échelle planétaire et son évolution en fonction de certains paramètres dictés par différents scénarios. Ces simulateurs du climat sont une sorte de « planète virtuelle » où on peut faire des expériences en modifiant, par exemple, la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère pour vérifier comment se comporteront les glaces, les précipitations ou la température des océans. À partir d’un même scénario, plusieurs modèles différents sont appelés à calculer l’évolution des paramètres d’intérêt sur des décennies, voire des siècles. Plusieurs dizaines de simulations sont ainsi produites pour permettre aux chercheurs d’appliquer des tests statistiques et se donner un intervalle de confiance pour prédire l’avenir le plus probable. Mais rien de tout cela ne vaut la vérification de terrain.

Dans la revue Science du 11 janvier 2019, un article d’une équipe sino-américaine a fait état d’un constat : le réchauffement de la couche supérieure des océans située entre 0 et 2000 mètres de profondeur, mesuré avec des balises et des satellites, confirme les prédictions qui avaient été faites dans le rapport du GIEC en 2013. Il se produit même plus rapidement que prévu.

Les océans jouent un rôle fondamental dans la dynamique des changements climatiques. En effet, 98 % de l’énergie supplémentaire qui est piégée par les gaz à effet de serre y est stockée sous forme de chaleur. C’est facile à comprendre, car l’eau a une capacité de stockage de l’énergie bien supérieure à celle de l’air. Tout le monde peut le constater en allumant un élément de la cuisinière. Si vous mettez votre main à 15 centimètres au-dessus de la plaque chauffante, vous sentirez la chaleur en quelques secondes alors que s’il y a sur la plaque une casserole avec un centimètre d’eau, il faudra plus d’une minute pour la sentir. À mesure que la surface océanique se réchauffe, l’évaporation de l’eau s’accélère et il y a transfert de la chaleur dans l’atmosphère, avec les conséquences qu’on connaît sur la violence des tempêtes et les précipitations exceptionnelles qui font la manchette chaque année. L’eau plus chaude retarde aussi la formation des glaces et sa dilatation provoque la remontée du niveau des océans. Les observations confirment non seulement ce que prédisaient les modèles, mais les données laissent croire que la situation sera pire que ce qu’on anticipait si on continue d’augmenter la concentration des GES dans l’atmosphère au rythme actuel. Les modèles ont dit vrai, malheureusement pour les sceptiques !

Trois défis pour nourrir le monde

La question n’est pas anodine, car les indicateurs de croissance démographique et de croissance économique rencontrent les indicateurs d’épuisement des ressources et de lutte aux changements climatiques, ce qui laisse présager une situation catastrophique. Jugez-en par vous-mêmes.

En 2050, il faudra, pour alimenter l’humanité, la production de 7400 billions (milliers de milliards) de calories supplémentaires chaque année, c’est-à-dire 50 % de la production totale de l’agriculture mondiale en 2010. Il faudrait aussi, si les progrès de l’agriculture se maintiennent et que la productivité des terres n’est pas affectée par la désertification ou la salinisation par exemple, 596 millions d’hectares de terres supplémentaires à cultiver. Cela représente 3,6 fois la superficie du Québec ou 60 % de la superficie du Canada dans son entier. Si l’on veut par ailleurs réaliser l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement au-dessous de 2 degrés, il faudrait que l’agriculture et le changement de vocation des terres qui y est associé, en raison de la déforestation et du drainage des terres humides par exemple, émettent quatre fois moins de gaz à effet de serre par calorie produite que la proportion actuelle. Décourageant ? Sans doute, mais il y a des solutions et il faut y penser tout de suite.

Le document présente sous forme d’un menu de cinq couverts, un bouquet de 22 solutions qui pourraient être mises en œuvre pour assouvir la faim du monde sans provoquer la fin du monde.

D’abord, il faut prendre des mesures permettant d’augmenter la productivité agricole et répandre le plus largement possible les innovations. Si on suit les tendances actuelles, il faudrait couper à peu près toutes les forêts tropicales restantes pour produire suffisamment d’aliments, avec bien sûr les conséquences irréversibles que cela entraînerait sur la biodiversité et les émissions de gaz à effet de serre. Il faut aussi lier l’intensification avec des programmes de protection et de restauration des forêts, marais et tourbières. Intensifier l’agriculture urbaine est aussi une bonne idée. Des cibles de réduction des émissions de GES devraient être liées à la performance des agriculteurs, par exemple avec des crédits compensatoires.

Ensuite, il faudrait décupler la croissance démographique et la demande pour les produits alimentaires. Un peu comme dans le domaine de l’énergie, il s’agit de mesures d’efficacité dans les systèmes de production et de transformation permettant de limiter le gaspillage et les pertes d’aliments tout au long de la chaîne du champ à l’assiette. Augmenter la proportion de protéines végétales dans les modes de consommation est aussi une bonne façon de faire ce découplage. Beaucoup de terres sont cultivées pour produire la nourriture des animaux que nous mangeons. Il y a là une marge de manœuvre importante.

Enfin, il faudrait augmenter la quantité de poissons disponibles dans l’alimentation, en stabilisant les débarquements de poissons sauvages et en intensifiant l’aquaculture, particulièrement de poissons végétariens. Le rendement de ces espèces est très avantageux en comparaison des autres animaux d’élevage.

Grosse commande ? Bien sûr, cela est formidablement complexe et demandera des efforts à tous les niveaux. Nous reviendrons plus en détail sur les applications pratiques de ces mesures dans de prochaines chroniques, cet hiver. Bon appétit !

Claude Villeneuve

Haro sur les bovins?

Je n’ai pas de compétences approfondies en nutrition et en santé, mais ce qu’on peut lire sur les avantages d’une diète plus riche en fibres et en légumes frais ne semble pas faire l’objet de controverses. Les médecins et nutritionnistes soulignent aussi les liens entre la consommation de viande rouge et certaines maladies. Fort bien : mangez mieux, vivez plus vieux. Mais comment la consommation de viande de bœuf et de produits laitiers est-elle mauvaise pour la santé de la planète ?

Dans le domaine de l’environnement, les principaux dommages qu’on attribue à l’élevage industriel des bovins sont multiples : déboisement de la forêt tropicale, consommation d’eau, production de gaz à effet de serre (GES) et réchauffement climatique. Il y a bien sûr anguille sous roche. Selon les analyses de cycle de vie recensées par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les enjeux de la production de viande de ruminants sont sérieux. Dominée à 79 % par le bœuf, alors que la production de lait est attribuable à 83 % aux vaches laitières, la demande mondiale, qui devrait augmenter de 50 % d’ici 2050, soulève des préoccupations pour le climat. En effet, l’élevage des bovins était responsable globalement, en 2010, de 4,6 milliards de tonnes d’équivalent CO2 par année, soit environ 10 % de l’ensemble des émissions totales de GES de l’humanité.

Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas du CO2 qui est expiré par les animaux. Ces émissions-là ne sont pas comptabilisées puisqu’elles sont biogéniques comme notre propre respiration. Les émissions préoccupantes sont le méthane provenant de la fermentation entérique, le méthane et le protoxyde d’azote provenant de la gestion des fumiers, le protoxyde d’azote associé à l’usage d’engrais azotés pour la culture de leur alimentation et les émissions de CO2 liées à la consommation de carburants fossiles des tracteurs, du transport des animaux et de la production d’électricité. Enfin, la viande et les produits laitiers voyagent souvent sur de grandes distances et doivent être conservés au froid, ce qui occasionne des émissions de gaz réfrigérants qui contribuent eux aussi au réchauffement planétaire. Imaginez, un litre de lait dans le meilleur des cas produit environ 1 kilo de CO2 équivalent. Un kilo de viande de bœuf peut en produire jusqu’à 30 kilos, un peu moins au Québec si on considère la faible empreinte carbone de l’électricité et la production de viande des vaches de réforme dont l’empreinte totale est divisée entre le lait et la viande. La fermentation entérique provoquée par les bactéries de leur estomac produit du méthane et représente la plus grande partie de l’empreinte carbone avec 43 % et 46 % respectivement. Boire deux litres de lait par semaine correspond à brûler 40 litres d’essence par année, mais manger un seul steak de 150 grammes correspond à en brûler 2 litres. Comme les bovins sont une source de protéines de grande qualité pour alimenter les humains, il importe de savoir où se situent les sources d’émissions les plus importantes et où on peut intervenir pour les réduire.

En effet, cela peut être amélioré. On apprend dans une révision des études de cycle vie réalisées pour les producteurs de lait du Canada, qu’entre 2011 et 2016, les émissions de GES par litre de lait ont été réduites de 8 % en raison d’une augmentation de la productivité de 12,8 % par vache dans la même période et à des changements dans l’alimentation.

Haro sur les bovins ? Pas si vite, mais il faut y réfléchir.

Claude Villeneuve

La chaire en éco-conseil contribue au rapport FRANCOPHONIE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE : Innovations et bonnes pratiques – édition 2018 de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD)

La chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi a joué un rôle de premier plan dans le plus récent rapport de développement durable de la Francophonie, intitulé FRANCOPHONIE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE : Innovations et bonnes pratiques – édition 2018. Georges Lanmafankpotin, professeur associé au département des sciences fondamentales, et membre de la Chaire en éco-conseil, y a contribué à titre d’expert et d’auteur. Le rapport utilise la fiche de gouvernance du développement durable (FGDD) de la Francophonie,  un outil d’analyse systémique de durabilité développé à la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi, en partenariat avec l’Institut de la Francophonie pour le Développement durable (IFDD).  La fiche est destinée aux États et gouvernements afin de leur permettre de faire l’état des lieux en matière de gouvernance, de documenter et de faire le suivi des indicateurs internationalement reconnus.

En 2018, la capitalisation des résultats d’analyse des FGDD mises à jour a servi à la rédaction du « chapitre V.I Les grandes tendances de la gouvernance du développement durable » du rapport de l’OIF « Francophonie et développement durable : Innovations et bonnes pratiques. Édition 2018 » dont elles constituent l’épine dorsale. Le chapitre V est, en effet, l’une des deux charpentes de l’architecture du rapport qui dresse spécifiquement un bilan de l’évolution de la gouvernance du développement durable au sein des États et gouvernements membres de la Francophonie et recense 46 innovations majeures en développement durable au sein de 34 d’entre eux de même qu’une trentaine de bonnes pratiques gouvernementales et d’acteurs non étatiques. Le lancement officiel du rapport a eu lieu lors du Forum économique dans le cadre du 17ème Sommet de la Francophonie à Erevan.

La réalisation de la FGDD est née d’un projet initié en 2011 par l’IFDD et son développement a été confié à la chaire en éco-conseil dans le cadre de la contribution de la Francophonie à Rio+20. Ce projet a abouti à la production de profils nationaux regroupés en un ouvrage unique sur l’état de la gouvernance du DD. La fiche a été mise à jour en 2017 pour tenir compte des nouveaux enjeux apparus et du Programme de développement durable à l’horizon 2030 (PDD-H2030) et de ses ODD dans le cadre du partenariat 2015-2018 OIF-UQAC pour le renforcement de capacité des pays membres de la Francophonie en analyse systémique de la durabilité. La mise à jour a permis d’intégrer les engagements internationaux intervenus en 2015, comme l’Accord de Paris sur le Climat et le Plan d’Action d’Addis-Abeba. Traduite en anglais, elle a été retenue dans les outils privilégiés par les Nations Unies pour la mise en œuvre du PDD H-2030 en juillet 2017. Les FGDD ont permis à chacun des pays de se situer par rapport à ses pairs et de mesurer le chemin qu’il lui reste à parcourir pour accéder à l’optimum.

Source : Claude Villeneuve et Georges Lanmafankpotin, Chaire en éco-conseil

Le rapport est disponible au
http://www.ifdd.francophonie.org/ressources/ressources-pub-desc.php?id=744
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Une toxicité inattendue

Le microbiote est une expression qui désigne l’ensemble des communautés microbiennes qui vivent sur notre peau et dans notre tube digestif. Chaque semaine, de nouvelles découvertes nous montrent l’importance de ces communautés pour le maintien de notre santé. Si c’est le cas pour les humains, on imagine que ça l’est aussi pour les animaux. En effet, les animaux bénéficient largement de communautés microbiennes qui leur sont transmises dès la naissance et qui colonisent leur peau, leurs poils, leurs plumes et leur intestin. Ces populations bactériennes protègent leur hôte contre les pathogènes qui pourraient les affecter, elles contribuent à améliorer leur digestion et l’absorption des nutriments essentiels. Les ruminants par exemple dépendent de bactéries méthanogènes qui leur permettent de digérer les végétaux. Les termites hébergent des protozoaires qui digèrent la cellulose du bois qu’ils consomment, ce qui leur permet d’en tirer de l’énergie sous forme de sucre. Ces associations qui sont bénéfiques aux deux partenaires sont essentielles. Elles constituent le secret du fonctionnement des écosystèmes.

Cette semaine, dans le Proceedings of the National Academy of Sciences, un article a attiré mon attention. Des chercheurs de l’Université du Texas ont fait un lien entre la mortalité des abeilles et l’utilisation de glyphosate. Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé sur la planète. On l’utilise d’autant plus que depuis une trentaine d’années des plantes résistantes au glyphosate ont été développées par génie génétique pour les grandes cultures comme le soya. Mais par quel mécanisme un herbicide peut-il affecter un insecte pollinisateur ?

En fait, le glyphosate n’est pas directement toxique pour les insectes, mais il affecte des bactéries qui peuplent leur intestin. Avec un microbiote réduit, les abeilles absorbent moins bien les aliments et elles sont plus susceptibles aux pathogènes. Dans leur étude, les chercheurs montrent que l’exposition d’abeilles au glyphosate, à des teneurs typiquement retrouvées dans le nectar des fleurs, suffit à altérer leur flore intestinale et augmente ainsi leur susceptibilité à une bactérie opportuniste. La mortalité des abeilles soumises à ce traitement peut atteindre 80 % en quelques jours.

Cet exemple devrait nous faire réfléchir sur les dangers cachés de la dispersion de produits chimiques dans l’environnement. L’industrie agrochimique produit depuis un siècle des variétés de molécules qui ont été répandues dans la nature sans qu’on s’interroge sur leurs effets toxiques. Les pesticides destructeurs que dénonçait le « Printemps silencieux » de Rachel Carson en 1962 ont en bonne partie été interdits en raison de leurs effets écotoxicologiques et de leur persistance dans l’environnement. Aujourd’hui, le glyphosate et les néonicotinoïdes sont au banc des accusés et commencent à être interdits. Si on veut faire une agriculture qui respecte le développement durable, il faut revoir en profondeur nos manières de faire et être beaucoup plus sévères pour l’homologation de produits chimiques répandus à large échelle. Malheureusement, on découvre trop tard que le mal est fait. Les agriculteurs biologiques travaillent différemment dans le respect d’un écosystème en santé. Il faudrait les encourager.

Des conseils pour le changement

Depuis un an, un groupe d’experts, sous la gouverne du professeur Normand Mousseau, militent à travers l’initiative « Le climat, l’État et nous » pour une réforme en profondeur de la gouvernance environnementale au Québec. En effet, force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous, malgré la volonté gouvernementale affichée depuis plusieurs années dans le domaine de la lutte aux changements climatiques. D’autres aberrations, par exemple la dispense de l’obligation de compenser pour les pertes de milieux humides au nord du 49e parallèle, fait sourciller. Enfin, la confusion des genres entre l’environnement et le développement durable dans l’appareil gouvernemental nous condamne à une schizophrénie institutionnelle qui ne cesse de s’aggraver. Les rapports annuels du commissaire au développement durable illustrent depuis 10 ans ces aberrations.

En effet, il faut distinguer le développement durable et la protection de l’environnement. Le développement durable vise la satisfaction des besoins humains et un environnement sain est la condition pour que cela puisse se produire. Mais le développement durable comporte aussi plusieurs autres dimensions. Le modèle que nous utilisons à la chaire en écoconseil, basé sur la littérature scientifique mondiale, en relève six : environnementale, économique, éthique, culturelle, sociale et de gouvernance. En confiant la responsabilité du développement durable au ministre de l’Environnement depuis 2006, les gouvernements successifs ont commis une erreur.

Comme le propose le collectif d’experts, la gouvernance du développement durable devrait résider au plus haut niveau de l’État, soit au cabinet du premier ministre, soit dans un ministère transversal à l’instar du Conseil du trésor. Ainsi, chaque ministère sectoriel pourrait rendre compte de sa contribution et les politiques de chacun devraient se raccrocher à des objectifs et des cibles communs avec les moyens différenciés qui sont spécifiques aux spécialités de chacun. Il existe depuis 2015 un cadre commun de développement durable, adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies. Composé de 17 objectifs, de 169 cibles et de 240 indicateurs, ce programme pour le développement durable à l’horizon 2030 serait un guide qui pourrait avantageusement compléter les 16 principes de la Loi sur le développement durable qui sont issus des principes de Rio adoptés en 1992. Ainsi, le gouvernement du Québec pourrait plus efficacement fixer ses priorités, notifier sa contribution à l’avancement du Canada dans l’atteinte des cibles des ODD et se comparer avec d’autres juridictions sur un même tableau de bord.

Une autre réforme à la loi sur le développement durable serait nécessaire. Depuis 2006, cette loi ne s’applique qu’aux ministères et organismes du gouvernement du Québec. Or il est prévu qu’elle pouvait sur décret gouvernemental être élargie aux établissements du système de santé, aux institutions et établissements du réseau de l’éducation et aux municipalités. Comme nous l’avons réclamé à l’occasion des consultations en commission parlementaire, il est plus que temps que cela soit fait et que ces entités soient soumises à la vérification par le commissaire au développement durable. La cohérence et la crédibilité de l’action gouvernementale incluent ce périmètre opérationnel.

Voilà pour le développement durable. La prochaine chronique portera sur la lutte aux changements climatiques. Là aussi, des changements s’imposent.

Pas à nous de payer

Depuis plus de 20 ans, les gouvernements du Québec se sont fixé des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La première, une réduction de 6 % des émissions de 1990 à 2012 a été atteinte surtout en raison de la fermeture d’usines et de modifications de procédés industriels, par exemple la réduction des effets d’anode des alumineries et le remplacement de carburants fossiles par la biomasse dans les papeteries. Dans son plan d’action sur les changements climatiques pour 2020 (PACC 2020), le gouvernement a mis en place diverses initiatives et fait du marché du carbone WCI le principal outil pour atteindre une cible de -20 % des émissions pour 2020. En décembre 2015, lors de la 21e Conférence des Parties à Paris, le premier ministre de l’époque, Philippe Couillard, a imposé une cible de réduction de 37,5 % en 2030, toujours par rapport au point de référence 1990. Dans son bilan de mi-parcours, la ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux Changements climatiques (MDDELCC) avouait candidement que nous n’allions pas atteindre cette cible sans faire l’achat de 9 millions de tonnes de réductions à la Californie, et cela, malgré les fonds considérables accumulés dans le Fonds vert pour mettre en place des mesures de réduction des émissions sur notre propre territoire. Bref, on va devoir payer les entreprises et les municipalités californiennes avec l’argent des Québécois pour réduire à notre place les émissions. Je vous laisse juger si c’est une bonne idée ! Pire encore, le gouvernement n’a aucune idée de comment il va atteindre la cible de 2030, puisqu’il n’a établi aucun scénario, aucune modélisation et qu’il n’a sollicité l’avis d’aucun expert sur le sujet avant l’an dernier. La pensée magique, c’est fort…

Si le nouveau gouvernement veut apporter du changement, la première chose à faire est de revoir l’ensemble du plan de lutte aux changements climatiques et de retirer ce dossier du MDDELCC. En effet, la lutte aux changements climatiques est étroitement liée au développement économique du Québec et devrait être placée sous le leadership d’un ministère fort, doté de compétences solides en la matière. Ce n’est surtout pas le rôle du MDDELCC de faire les arbitrages et d’imposer par exemple un système de bonus-malus pour l’immatriculation des véhicules de manière à s’assurer que le parc automobile réduise sa consommation.

L’idée n’est pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les quelques entreprises qui émettent plus de 25 000 tonnes d’équivalent CO2 par année ont déjà mis en place les procédures et les outils pour intégrer le marché du carbone. En revanche, il faut favoriser la création de réductions qualifiées dans les PME, chez les agriculteurs et les municipalités pour générer des crédits compensatoires. Ainsi, les dépenses des grandes entreprises pour atteindre leurs cibles seraient génératrices d’emplois et d’activité économique sur le territoire québécois. Actuellement, ce n’est à peu près pas possible.

Il faut aussi revoir la cible de -37,5 % pour 2030. Politiquement, c’est bien d’être ambitieux, mais encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. Le Québec n’a pas les mêmes possibilités de réduction des gaz à effet de serre que les autres juridictions en raison de son électricité à 99 % de source renouvelable. Un gouvernement intelligent devrait s’en rendre compte. Nous sommes déjà les plus petits émetteurs en Amérique du Nord. Ce n’est surtout pas à nous de payer pour les réductions qui ne se font pas ailleurs au Canada.

Il va bientôt faire soif!

Mais un article publié cette semaine dans la revue Nature Plants par une équipe internationale réunissant des scientifiques de l’Université de Beijing en Chine, de l’université de Cambridge en Angleterre et de l’Université de Californie aux États-Unis lance un cri d’alarme. Dès 2050, il faut s’attendre à des pénuries de bière en raison des canicules et des sécheresses plus nombreuses à l’échelle globale, attribuables au réchauffement climatique. La raison tient à la fragilité de l’orge à la sécheresse et à la chaleur. Il s’agit d’une culture dont les rendements peuvent être affectés de manière si importante que déjà, dans le sud du Québec, plusieurs agriculteurs l’abandonnent en raison des étés plus chauds. Selon le professeur Wei Xie et ses collègues, la fréquence et la sévérité des épisodes de sécheresse et de canicules prévues par cinq modèles climatiques affecteront à la baisse de 3 % à 17 % la production d’orge mondiale, avec comme effet une disponibilité réduite pour le brassage de la bière. Cela résulterait dans une baisse de production brassicole qui pourrait atteindre 30 % en Argentine et une hausse des prix allant jusqu’à 193 % en Irlande.

Il ne s’agit pas bien sûr des effets les plus graves des changements climatiques prévus dans les prochaines décennies. Les brasseurs industriels pourront toujours s’en sortir en utilisant d’autres céréales pour produire leur bibine. La consommation de bière n’est pas non plus une question de survie des populations. Finalement, les préférences des consommateurs pour des breuvages rafraîchissants peuvent encore évoluer dans la prochaine génération. Il n’y a donc rien de dramatique à cette prédiction. Alors, pourquoi s’en préoccuper ?

Au-delà de la coïncidence avec la pénurie de bières de micro-brasseries notée cet été, l’article de Wei Xie et ses collègues illustre la complexité de l’adaptation aux changements climatiques. Le climat affecte, dans le domaine de la bière, à la fois l’offre et la demande. Mais de façon plus large, la demande pour l’orge ne se limite pas à l’assouvissement de la soif du travailleur. L’orge est l’une des céréales les plus cultivées au monde avec une production de près de 150 millions de tonnes dont plus de la moitié est destinée à l’alimentation animale et de 30 à 40 % va au maltage pour les brasseries. Si l’on restreint sa production en raison de canicules et de sécheresses, la demande se reportera vraisemblablement sur d’autres céréales pour satisfaire les besoins, augmentant ainsi la pression sur l’alimentation de base des humains. Comment l’humanité devra-t-elle réagir ? Réduire sa consommation de viande ou réduire sa consommation de bière ? Devant le barbecue, le dilemme est cornélien, surtout quand il fait bien chaud !

Le rapport spécial du GIEC paru le 10 octobre dernier nous a mis en garde encore une fois sur l’urgence d’agir pour limiter notre impact sur le climat planétaire. Mieux vaut y penser maintenant, sans quoi il va faire soif !