Inquiétudes pour le marché du carbone

Deux approches économiques sont universellement reconnues pour soutenir la lutte aux changements climatiques : la taxation des émissions de gaz à effet de serre et l’imposition d’un mécanisme d’échange de droits d’émissions aussi appelé « marché du carbone ». Les deux approches ont des avantages et des inconvénients et elles peuvent même être combinées pour assurer une plus grande équité et une plus grande efficacité dans l’atteinte de leur objectif commun : diminuer la contribution de l’économie d’une juridiction aux changements climatiques. À terme, ces mécanismes ne seront toutefois efficaces que s’ils ont une portée suffisamment large pour éviter les fuites vers d’autres juridictions des grands émetteurs. En 2010, le Québec a fait son choix pour le marché du carbone en s’associant à la Californie dans un marché appelé « Western Climate Initiative ».

Pour contrôler son niveau d’émissions le Québec a mis en place un système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions (SPEDE) qui couvre maintenant environ 85% des sources d’émissions de gaz à effet de serre sur le territoire. Le SPEDE fixe une cible absolue à ne pas dépasser, distribue des droits d’émissions gratuits et en met une certaine proportion aux enchères en fixant un prix plancher. Les distributeurs et importateurs de carburants fossiles doivent compenser pour l’atteinte des cibles gouvernementales avec des droits d’émissions compensatoires alors que les entreprises règlementées doivent tenir un inventaire vérifié pour faire rapport au Ministère du Développement Durable, de l’Environnement et de la Lutte aux Changements Climatiques (MDDELCC) pour chaque période de référence. La première période de référence portait sur les années 2013-2014 ne couvrait que les émissions de 55 grandes entreprises émettant plus de 25 000 tonnes de CO2 équivalent par année. Au terme de cette première période, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) a publié la semaine dernière une note d’intervention (www.irec.net) pour faire le bilan et examiner les perspectives de ce marché.

 Malgré des débuts encourageants, le marché du carbone WCI pose d’importantes inquiétudes pour le futur. Une poursuite, actuellement en cours aux Etats-Unis pourrait remettre en question la participation de cet état au marché. Les allocations gratuites de droits d’émissions par le MDDELCC pour la deuxième période de conformité semblent avoir dépassé les émissions réelles prévues par les entreprises. Il y a eu une chute importante de la demande pour les droits d’émissions mis aux enchères (ce qui peut être une conséquence des deux premiers). Enfin, les méthodologies permettant d’obtenir des droits compensatoires acceptées au Québec sont moins nombreuses qu’en Californie et couvrent un moins grand spectre de suppressions d’émissions, ce qui occasionne une importante fuite de capitaux du Québec vers les Etats-Unis. En effet, les entreprises assujetties au plafond peuvent se procurer des droits d’émissions compensatoires, générés par des entreprises qui ont dépassé leur cible ou qui ne sont pas assujetties à un plafond d’émissions, peu importe le territoire sur lequel elles se trouvent. En 2013-2014, ce sont 18 millions de tonnes de CO2 équivalent qui ont ainsi été achetées par des entreprises québécoises. Cela représente plus de 200 millions de dollars de moins que nos entreprises auraient pu consacrer à leur modernisation ou à augmenter leur compétitivité. C’est un piège que je dénonce depuis plusieurs années.

Le marché du carbone est une approche qui a comme principal mérite de garantir l’atteinte de cibles de réduction dans l’absolu. En revanche, c’est un outil complexe et difficile à contrôler. La Colombie Britannique, pour sa part, a opté pour une taxe sur le carbone. Le gouvernement fédéral s’est aussi rangé à cette option plus simple d’application. L’avenir nous dira qui a fait le bon choix.

Claude Villeneuve, biologiste

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