Les pesticides remis en question

Au début de mars, madame Hilal Elver, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation lançait un cri d’alarme : « Il faudra que l’agriculture apprenne à se passer des pesticides ! ». Cosigné par Baskut Tuncak, rapporteur spécial à l’ incidence sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux, ce rapport est un réquisitoire bien documenté sur les méfaits des pesticides pour la santé humaine et celle des écosystèmes.

 Se passer des pesticides peut apparaître ambitieux, voire contre culturel, certains diront irréaliste. Les pesticides sont une des clés de la révolution verte qui a permis à l’agriculture d’augmenter ses rendements au vingtième siècle plus vite que n’augmentait la population humaine, contribuant ainsi à réduire la faim dans le monde. Les pesticides regroupent une variété de produits chimiques toxiques, insecticides, fongicides, herbicides. Ils sont intégrés à un tel point dans l’agriculture moderne qu’il existe même des plantes génétiquement modifiées qui sont dotées d’une résistance au glyphosate pour faciliter le désherbage. C’est naturellement la même entreprise qui vend les herbicides et les semences qui y résistent. Ce pactole pour les industriels n’incite en rien à se passer des pesticides.

Bien que leur usage ait été règlementé dans les cinquante dernières années, les pesticides font plus de 200 000 morts par année selon le rapport spécial de l’ONU. Ces mortalités par intoxication se produisent à 99% dans les pays en voie de développement où les ouvriers agricoles sont souvent illettrés et travaillent sans protection. L’exposition chronique aux pesticides est quant à elle associée à de nombreuses pathologies. Les impacts sur l’environnement sont moins visibles et plus pernicieux. En raison de leur toxicité, les pesticides libérés dans l’environnement contribuent à une réduction de la biodiversité dans les écosystèmes terrestres et aquatiques et, en contaminant les nappes phréatiques et les aliments, reviennent précariser la santé humaine, particulièrement celle des enfants. Les preuves des effets à moyen et long terme des pesticides, sur le vivant en général et l’être humain en particulier, sont plus ardues à apporter, d’autant que «l’ampleur des dommages causés par ces produits chimiques est systématiquement contestée par l’industrie des pesticides et l’industrie agroalimentaire» affirment les auteurs.  Ils en concluent d’ailleurs que l’usage des pesticides dans l’agriculture industrielle « porte atteinte au droit à une alimentation suffisante et au droit à la santé des générations actuelles et des générations futures ». Le droit à une alimentation suffisante, reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme doit être prépondérant par rapport au droit des entreprises : «Les arguments selon lesquels les pesticides seraient indispensables pour préserver le droit à l’alimentation et à la sécurité alimentaire entrent en contradiction avec le droit à la santé, compte tenu des nombreux impacts sanitaires associés à certaines pratiques d’utilisation des pesticides.»

 Mais comment peut-on penser à se débarrasser des pesticides ? Les solutions sont multiples. Les auteurs du rapport plaident pour un renforcement des règlementations nationales, mais aussi pour un traité international qui prendrait en considération l’ensemble du cycle de vie des pesticides, de leur fabrication  à leur élimination. Ils insistent aussi sur les bénéfices des pratiques agro-écologiques qui permettent d’obtenir des rendements équivalents à l’agriculture industrielle sans pesticides. Il faudra pour y arriver des règlements beaucoup plus stricts des États. Le rapport est disponible à http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=21306&LangID=E.

Claude Villeneuve

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