L’ultime recyclage

Au dix-septième siècle, les éboueurs parisiens collectaient le contenu des pots de chambre pour le faire sécher au soleil et fournissaient aux jardiniers qui nourrissaient la ville un fertilisant fort apprécié nommé « poudrette ». Cette forme de recyclage des éléments nutritifs contenus dans les excréments humains n’est pas nouvelle. Elle est pratiquée traditionnellement par les agriculteurs chinois. Même au Québec, le guide des bonnes pratiques sur les matières résiduelles fertilisantes permet d’utiliser des boues provenant des usines d’épuration (appelées biosolides) municipales ou de certaines fabriques industrielles pour l’agriculture.  Ville de Saguenay le fait depuis plus de 25 ans. On peut aussi traiter les biosolides par gazéification pour en retirer du biogaz qui sert de combustible et disposer ensuite du résidu appelé digestat pour la fertilisation des terres. Naturellement, toutes ces utilisations sont soumises à des règles sanitaires strictes et à des normes limitant les risques de transfert de contaminants dans la nature. Selon un rapport récent des Nations Unies et de l’Unicef, 2,8 milliards de personnes n’ont pas accès aux égouts dans le monde.

 Dans plusieurs pays en voie de développement, l’assainissement des eaux est un enjeu majeur. En Afrique subsaharienne, par exemple, moins de 8 % de la population a accès à des réseaux d’égouts, environ 20% disposent de latrines ou de fosses septiques et le reste défèque dans la nature. La situation est meilleure en Asie du Sud-Est, mais il reste qu’encore 40% des gens en sont réduits au plein air. Cela cause naturellement un énorme potentiel de transmission de maladies entériques comme la dysenterie et le choléra. C’est pourquoi parmi les objectifs de développement durable adoptés aux Nations Unies en 2015, le sixième traite de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement.

 Dans le numéro du 14 septembre de la revue Nature, un article a attiré mon attention. Il s’agit d’un entrepreneur qui a implanté en banlieue de Kigali au Rwanda une usine qui récupère les contenus des fosses septiques et des latrines pour en faire des produits rentables. L’entreprise nommée Pivot n’est pas une usine de traitement des eaux. Il s’agit d’une fabrique industrielle qui produit du carburant pour les industries locales, comme les cimenteries et les briqueteries, sous forme d’une poudre à haute valeur calorifique qui remplace le charbon de bois. L’entreprise est rentable et le procédé inventé par des ingénieurs locaux est en voie d’être exporté un peu partout dans la région. D’après ses concepteurs, on pourrait tirer des excréments humains non seulement une source d’énergie renouvelable, mais aussi des engrais, des bioplastiques et même une source de nourriture. Ce serait donc l’ultime recyclage…

 Naturellement, il ne s’agit pas de nourrir des humains avec des capsules d’excréments séchés. On se servirait plutôt de ce produit pour enrichir des étangs où on élève des poissons, mais on étudie aussi la possibilité de transformer en aliments pour le bétail des gâteaux constitués de larves séchées des insectes qui se développent dans les excréments. L’élément clé pour le succès de ce genre d’initiative, c’est qu’elles sont rentables et procurent du travail.

 On se rend compte en effet que lorsque les installations d’assainissement des eaux sont fournies par de l’aide internationale, elles cessent rapidement de fonctionner lorsque cette aide se tarit. En revanche, si des entreprises réussissent à vendre le fruit de leur travail de manière rentable, la pérennité du procédé est plus solide.

 Il reste bien sûr de nombreux obstacles pour développer ce genre d’industrie à grande échelle. Les représentations associées à l’usage des excréments humains ne sont pas les moindres, ici comme ailleurs. Mais dans un monde où nous serons bientôt 9 milliards, il faut trouver de nouvelles façons de recycler !

Claude Villeneuve
Professeur titulaire
Directeur de la Chaire en éco-conseil
Département des sciences fondamentales
Université du Québec à Chicoutimi