L’urgence d’agir?

Rarement, ces injonctions ont été suivies d’effets concrets. En cette fin d’année, après le rapport spécial du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) paru en octobre, après le rapport du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) sur le fossé qui se creuse entre la trajectoire à suivre pour maîtriser le réchauffement et les engagements réellement mis en oeuvre par les États et après la COP24 (24e Conférence des Parties) qui se déroulait à Katowice en Pologne, tout le monde crie à l’urgence. Certains ont même établi que dans deux ans, il sera trop tard pour éviter la catastrophe et que le désastre sera irrémédiable. Est-ce là une bonne tactique pour changer les choses ? J’en doute.

Malgré tout, j’ai été l’un des premiers scientifiques signataires du Pacte pour la transition écologique. Pourquoi ?

Crier au loup n’est pas une stratégie gagnante, comme nous l’apprenait la fable d’Ésope. Le vieux fabuliste n’était pas fabulateur et si les changements climatiques induits par l’activité humaine avaient été un enjeu à son époque, il aurait peut-être modifié son histoire. Mais aujourd’hui, le loup est bien présent et il réclame sa part de chair humaine. Les manifestations extrêmes du climat font, chaque année, plus de victimes, et cela ne risque que d’empirer. C’est bien malheureux, nous devons réagir. Mais comment ?

Les solutions sont bien connues, mais elles engagent d’une part la responsabilité individuelle et de l’autre, la gouvernance collective. C’est ce que demande le Pacte : il met au défi les citoyens de poser des gestes qui peuvent apparaître insignifiants, mais qui, s’ils sont répétés collectivement par des centaines de milliers de gens, peuvent représenter des gains significatifs. Par exemple, pour diminuer sa contribution aux changements climatiques d’une tonne par année, il faut économiser 1,3 litre d’essence par jour. C’est à la portée de tous les automobilistes. Il suffit de conduire un peu moins vite, de bien gonfler ses pneus, de ne pas laisser tourner la voiture inutilement ou d’aller à pied chercher son journal ou ses billets de loterie. Fastoche, comme disent les jeunes, surtout quand on conduit un gros 4×4. Il y a bien d’autres possibilités sur le site du Pacte, et chacun peut faire les choix qui lui conviennent pour initier le changement. La force du nombre fera le reste.

Mais il y a plus important. En agissant, on donne un signal aux gouvernements qu’ils doivent agir eux aussi par la réglementation, la fiscalité et l’exemplarité. La crise des « gilets jaunes » que vivent les Français ces dernières semaines montre bien que le gouvernement ne peut rien imposer si les citoyens ne sont pas prêts à vivre avec les conséquences d’un mouvement de transition sur leur pouvoir d’achat. À l’inverse, lorsque les citoyens sont mobilisés et qu’on leur donne des moyens et des incitatifs appropriés, le changement peut s’opérer. La Scandinavie le démontre éloquemment. En agissant, on donne aussi un signal aux entreprises et là, les gains peuvent être majeurs. Une entreprise qui ne vend pas ses produits ne pollue pas longtemps.

En 1983, je publiais mon premier cours par correspondance sur l’environnement. J’y incitais les étudiants à faire l’inventaire de leurs gestes quotidiens qui pouvaient réduire leur empreinte écologique. À l’époque, beaucoup d’environnementalistes se contentaient de crier au loup. Certaines catastrophes se sont produites, mais nous sommes toujours là et les enfants qui naissent aujourd’hui seront les aînés de 2100. Nous savons beaucoup plus de choses qu’à l’époque, mais nous ignorons toujours la date de la catastrophe annoncée. En revanche, l’urgence est là, scientifiquement documentée, et nous savons comment agir. Alors, pourquoi ne pas vous joindre au Pacte et adopter un ou plusieurs nouveaux comportements en 2019 ?

Claude villeneuve