Si la tendance se maintient

La phrase qu’a popularisée Bernard Derome, ancien animateur du Téléjournal de Radio-Canada et commentateur des soirées électorales, est devenue un classique de la culture québécoise. La tendance, c’est la ligne directrice que le passé peut imposer à l’avenir. Dans le domaine de l’environnement, plusieurs tendances inquiètent. La réduction de la biodiversité qui se traduit par l’indicateur des espèces menacées, l’acidification des océans, la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, sont des indicateurs qui évoluent selon une trajectoire alarmante. Dans un article récent de la revue Nature Communications (https://www.nature.com/articles/ncomms14845), des chercheurs ont tenté de voir ce qui se produirait si on poursuivait l’évolution tendancielle de la concentration de CO2 dans l’atmosphère jusqu’en 2250. Puisqu’on ne risque pas de manquer de carburants fossiles d’ici là, cette hypothèse, bien qu’audacieuse, fait partie des choses possibles.

Le résultat est plus qu’inquiétant. La concentration de CO2 dans l’atmosphère atteindrait alors 2000 parties par million (ppm), contre 400 ppm aujourd’hui et 280 ppm à la période préindustrielle. Cette concentration n’est pas mortelle. On peut y être exposé dans certains endroits clos ou dans des serres, mais la présence de CO2 induit un forçage radiatif, c’est-à-dire la rétention d’énergie dans la basse atmosphère sous forme de chaleur, ce qui aurait un effet d’au moins dix fois ce que nous connaissons aujourd’hui en termes de réchauffement climatique, provoquant la fonte des glaces des deux pôles et une augmentation de plusieurs dizaines de mètres du niveau de la mer. Il est arrivé, il y a très longtemps que la concentration de CO2 atteigne ou dépasse cette valeur dans l’histoire de la Terre.

 L’article fait cependant ressortir que depuis la formation de notre planète, il y a quatre milliards et demi d’années, la brillance du Soleil augmente très lentement, ce qui se traduit par plus d’énergie incidente dans le système climatique terrestre. En revanche, l’effet de cette augmentation a été compensé par une diminution progressive du CO2 explicable par d’autres phénomènes naturels. Mais, en enrichissant de manière accélérée l’atmosphère avec du CO2 issu de la combustion des carburants fossiles, l’humanité crée de nouvelles conditions inédites. Selon l’article, un tel forçage radiatif n’a jamais été dépassé depuis 420 millions d’années, c’est-à-dire avant la période cambrienne. À cette époque, il n’y avait pas encore de vie sur les continents.  La dernière fois qu’on a approché ce genre de situation, il y a deux cent millions d’années, les Dinosaures dominaient la faune de la planète.

 On peut penser qu’une telle projection est un exercice théorique. Une température globale plus chaude de 10 à 15 degrés et une concentration cinq fois supérieure du CO2 dans l’atmosphère est un scénario extrême. Pourtant, des décisions que nous prenons aujourd’hui peuvent contribuer à ce que cela soit possible. Ainsi, l’intention affirmée du président Trump de se retirer de l’accord de Paris sur la réduction des gaz à effet de serre, son encouragement à l’industrie du charbon et son relâchement des normes de réduction des émissions des automobiles pourraient avoir un effet d’entraînement mondial, en ces temps de désarroi politique. Or, chaque année perdue pour maîtriser nos émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale met en péril notre capacité d’éviter un emballement du climat et les conséquences désastreuses qui pourraient en résulter.

 Si la tendance se maintient, la perspective d’un retour extrêmement rapide aux conditions climatiques du Triassique peut nous faire réfléchir. Les Dinosaures ne reviendront pas nous hanter, du moins pas sous leur forme reptilienne. Alors, pourquoi nous entêtons nous à les placer au pouvoir ?

Claude Villeneuve
Professeur titulaire
Directeur de la Chaire en éco-conseil

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