Un héritage édifiant

Les relations entre le gouvernement américain et l’industrie ont fait l’objet de nombreuses histoires plus ou moins reluisantes. Le financement des partis politiques y est sans doute pour quelque  chose. Mais la pratique des lobbies omniprésents dans la politique américaine, les secrets industriels et la proximité de l’industrie et des militaires  créent des conditions favorables pour des collusions qui mettent rarement l’intérêt public en tête de leurs préoccupations. Quant à l’environnement, on repassera. Le 26 juillet, deux organisations américaines ont mis en ligne un compendium de textes qu’ils ont appelés les « Poison papers » (www.poisonpapers.org). Collectés depuis 40 ans par la militante Carole Van Strum, les 20 000 documents ont été légués à deux associations, le Center for Media and Democracy et le Bioscience Resource Project qui les ont scannés et mis en ligne où tout-un-chacun peut les consulter.

C’est une histoire d’horreur qui montre comment l’industrie chimique et des agences du gouvernement des Etats-Unis ont caché la vérité sur les effets toxiques de nombreux produits chimiques utilisés couramment. Ces documents internes, dont certains remontent aux années 1920, comprennent des études scientifiques, des rapports, des mémos internes ou des comptes rendus de comités. Ils révèlent les manœuvres peu avouables des entreprises pour cacher la toxicité de leurs produits. Ces documents, issus pour la plupart d’organismes publics tels que l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA), le service forêts du département de l’agriculture (USDA Forest Service), l’agence fédérale des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) ou le département de la défense, concernent de nombreuses entreprises.

Le système américain est propice à ce genre de choses. L’industrie du tabac et celle du charbon ont utilisé les mêmes firmes de lobbyistes pour défendre leurs prétentions sur l’innocuité du tabagisme pour la première et sur la non-existence des changements climatiques pour la seconde. Dans sa conférence d’ouverture du Forum politique de Haut Niveau au siège des Nation Unies le 17 juillet dernier, le professeur Jeffrey Sachs de l’Université Columbia déclarait : « Les Etats-Unis sont mal placés pour donner des leçons au reste du monde concernant la corruption. Dans la dernière campagne présidentielle, l’industrie des carburants fossiles a versé 100 millions de dollars en contribution aux candidats. C’est de la corruption, mais légale tout simplement ! » Cela explique probablement pourquoi les décrets du président Trump sont orientés au détriment de la science, au mépris du poids des évidences.

Les « Poison papers » résultent de l’opiniâtreté d’une militante qui a accumulé des preuves pour faire interdire l’arrosage à « l’Agent orange » pour le traitement des plantations dans la forêt près de laquelle elle habitait. Ce puissant phytocide utilisé durant la guerre du Vietnam a finalement été interdit en 1983. Mais on y trouve aussi des informations sur plusieurs autres substances. Ils totalisaient trois tonnes de papier qui étaient entreposés dans une grange en Oregon. Leur publication a une valeur plus anecdotique que légalement incriminante. Cependant, on peut en tirer une leçon sur les dérives d’un système qui protège les puissants au détriment de la santé des citoyens et de la qualité de l’environnement. Ils nous montrent aussi que l’information scientifique doit être publique, compréhensible et largement diffusée, sans quoi elle devient un pouvoir dans les mains d’intérêts pas toujours avouables. En ce sens, l’héritage de Mme Van Strum est édifiant.

De plus en plus d’entreprises se dotent de politiques de développement durable et s’engagent dans des modes de production durables. Cela suffira-t-il à éviter en 2050 qu’on répète la triste histoire qui nous est racontée par les « Poison papers » aujourd’hui ?

Claude Villeneuve
Professeur titulaire
Directeur de la Chaire en éco-conseil

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