Un problème émergent

En employant ces semences, l’agriculteur peut éliminer les mauvaises herbes rapidement des cultures comme le maïs ou le colza. Apparu en 1974 sous brevet de la compagnie Monsanto, il est rentré dans le domaine public en 2000 et est produit depuis par plusieurs autres compagnies. Le glyphosate tue les plantes en les empêchant de fabriquer des molécules qui leur sont indispensables pour leur métabolisme. Les plantes génétiquement modifiées disposent d’enzymes bactériennes qui leur permettent d’utiliser une voie métabolique qui n’est pas affectée par l’herbicide pendant quelques jours. Elles survivent donc à l’épandage pendant la dégradation de l’herbicide et couvrent complètement le terrain par la suite, ce qui réduit la nécessité pour l’agriculteur d’effectuer du sarclage ou du hersage.

Ces jours-ci, en Europe, le glyphosate fait débat. De nombreux pays veulent en interdire l’utilisation d’ici moins de 10 ans. Les raisons invoquées sont doubles. D’abord, le Centre international de recherche sur le cancer, une division de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a classifié en 2015 le glyphosate comme « cancérigène probable ». Par ailleurs, des documents obtenus en marge d’un procès en cours aux États-Unis par le journal Le Monde ont justifié une série d’articles montrant que l’entreprise Monsanto avait rémunéré des scientifiques pour produire, sous leur nom, des études écrites partiellement par des employés de l’entreprise. Ces textes ont pu tromper les autorités sanitaires.

Cette tricherie explique peut-être qu’en 2016, un panel d’experts de la FAO et de l’OMS a conclu qu’il est improbable que le glyphosate soit cancérigène par voie alimentaire, comme plusieurs agences de sécurité sanitaire, de protection de l’environnement ou d’agriculture dont Santé Canada qui a statué sur le sujet en avril dernier. Il n’en fallait pas plus pour que certains groupes lèvent des doutes sur la fiabilité de leurs conclusions. Jusqu’à nouvel ordre, le caractère cancérigène probable du glyphosate demeure donc un élément sérieux pour qu’on réclame son interdiction. Cela ne fait pas nécessairement l’affaire des agriculteurs.

Les parlementaires européens ont beaucoup de mal à s’entendre sur ce dossier. Nicolas Hulot, le ministre de l’écologie français veut bannir le produit d’ici trois ans. On pense que la Commission européenne le bannira d’ici 5 à 10 ans. Aux États-Unis et au Canada la question ne semble pas à l’ordre du jour. Pourtant nous sommes de beaucoup plus gros utilisateurs de glyphosate que les Européens et les champions dans le domaine sont toujours le Brésil et l’Argentine.

Cancérigène ou pas, le glyphosate utilisé massivement a favorisé l’apparition de « super mauvaises herbes » résistantes, avec lesquelles plusieurs agriculteurs ont des problèmes. Il existe bien des solutions, mais l’expérience nous montre que l’efficacité de cet herbicide ira en décroissant dans les prochaines années.

L’histoire du glyphosate illustre bien les défis d’une agriculture durable. Ce produit miracle a été répandu partout. On a fait fortune avec des plantes qui en sont dépendantes dans la régie agricole. Beaucoup d’agriculteurs se demandent comment ils pourraient faire autrement. Mais on se rend compte que le glyphosate persiste plus longtemps que ce que prétendait son fabricant et que ses traces se retrouvent dans le sol, dans l’eau et dans la nourriture. Devrions-nous attendre d’être sûrs de son innocuité avant de songer à s’en passer ? Les solutions alternatives sont connues, pourquoi ne pas les appliquer ?

Claude Villeneuve