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Pas à nous de payer

Depuis plus de 20 ans, les gouvernements du Québec se sont fixé des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La première, une réduction de 6 % des émissions de 1990 à 2012 a été atteinte surtout en raison de la fermeture d’usines et de modifications de procédés industriels, par exemple la réduction des effets d’anode des alumineries et le remplacement de carburants fossiles par la biomasse dans les papeteries. Dans son plan d’action sur les changements climatiques pour 2020 (PACC 2020), le gouvernement a mis en place diverses initiatives et fait du marché du carbone WCI le principal outil pour atteindre une cible de -20 % des émissions pour 2020. En décembre 2015, lors de la 21e Conférence des Parties à Paris, le premier ministre de l’époque, Philippe Couillard, a imposé une cible de réduction de 37,5 % en 2030, toujours par rapport au point de référence 1990. Dans son bilan de mi-parcours, la ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux Changements climatiques (MDDELCC) avouait candidement que nous n’allions pas atteindre cette cible sans faire l’achat de 9 millions de tonnes de réductions à la Californie, et cela, malgré les fonds considérables accumulés dans le Fonds vert pour mettre en place des mesures de réduction des émissions sur notre propre territoire. Bref, on va devoir payer les entreprises et les municipalités californiennes avec l’argent des Québécois pour réduire à notre place les émissions. Je vous laisse juger si c’est une bonne idée ! Pire encore, le gouvernement n’a aucune idée de comment il va atteindre la cible de 2030, puisqu’il n’a établi aucun scénario, aucune modélisation et qu’il n’a sollicité l’avis d’aucun expert sur le sujet avant l’an dernier. La pensée magique, c’est fort…

Si le nouveau gouvernement veut apporter du changement, la première chose à faire est de revoir l’ensemble du plan de lutte aux changements climatiques et de retirer ce dossier du MDDELCC. En effet, la lutte aux changements climatiques est étroitement liée au développement économique du Québec et devrait être placée sous le leadership d’un ministère fort, doté de compétences solides en la matière. Ce n’est surtout pas le rôle du MDDELCC de faire les arbitrages et d’imposer par exemple un système de bonus-malus pour l’immatriculation des véhicules de manière à s’assurer que le parc automobile réduise sa consommation.

L’idée n’est pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les quelques entreprises qui émettent plus de 25 000 tonnes d’équivalent CO2 par année ont déjà mis en place les procédures et les outils pour intégrer le marché du carbone. En revanche, il faut favoriser la création de réductions qualifiées dans les PME, chez les agriculteurs et les municipalités pour générer des crédits compensatoires. Ainsi, les dépenses des grandes entreprises pour atteindre leurs cibles seraient génératrices d’emplois et d’activité économique sur le territoire québécois. Actuellement, ce n’est à peu près pas possible.

Il faut aussi revoir la cible de -37,5 % pour 2030. Politiquement, c’est bien d’être ambitieux, mais encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. Le Québec n’a pas les mêmes possibilités de réduction des gaz à effet de serre que les autres juridictions en raison de son électricité à 99 % de source renouvelable. Un gouvernement intelligent devrait s’en rendre compte. Nous sommes déjà les plus petits émetteurs en Amérique du Nord. Ce n’est surtout pas à nous de payer pour les réductions qui ne se font pas ailleurs au Canada.

Il va bientôt faire soif!

Mais un article publié cette semaine dans la revue Nature Plants par une équipe internationale réunissant des scientifiques de l’Université de Beijing en Chine, de l’université de Cambridge en Angleterre et de l’Université de Californie aux États-Unis lance un cri d’alarme. Dès 2050, il faut s’attendre à des pénuries de bière en raison des canicules et des sécheresses plus nombreuses à l’échelle globale, attribuables au réchauffement climatique. La raison tient à la fragilité de l’orge à la sécheresse et à la chaleur. Il s’agit d’une culture dont les rendements peuvent être affectés de manière si importante que déjà, dans le sud du Québec, plusieurs agriculteurs l’abandonnent en raison des étés plus chauds. Selon le professeur Wei Xie et ses collègues, la fréquence et la sévérité des épisodes de sécheresse et de canicules prévues par cinq modèles climatiques affecteront à la baisse de 3 % à 17 % la production d’orge mondiale, avec comme effet une disponibilité réduite pour le brassage de la bière. Cela résulterait dans une baisse de production brassicole qui pourrait atteindre 30 % en Argentine et une hausse des prix allant jusqu’à 193 % en Irlande.

Il ne s’agit pas bien sûr des effets les plus graves des changements climatiques prévus dans les prochaines décennies. Les brasseurs industriels pourront toujours s’en sortir en utilisant d’autres céréales pour produire leur bibine. La consommation de bière n’est pas non plus une question de survie des populations. Finalement, les préférences des consommateurs pour des breuvages rafraîchissants peuvent encore évoluer dans la prochaine génération. Il n’y a donc rien de dramatique à cette prédiction. Alors, pourquoi s’en préoccuper ?

Au-delà de la coïncidence avec la pénurie de bières de micro-brasseries notée cet été, l’article de Wei Xie et ses collègues illustre la complexité de l’adaptation aux changements climatiques. Le climat affecte, dans le domaine de la bière, à la fois l’offre et la demande. Mais de façon plus large, la demande pour l’orge ne se limite pas à l’assouvissement de la soif du travailleur. L’orge est l’une des céréales les plus cultivées au monde avec une production de près de 150 millions de tonnes dont plus de la moitié est destinée à l’alimentation animale et de 30 à 40 % va au maltage pour les brasseries. Si l’on restreint sa production en raison de canicules et de sécheresses, la demande se reportera vraisemblablement sur d’autres céréales pour satisfaire les besoins, augmentant ainsi la pression sur l’alimentation de base des humains. Comment l’humanité devra-t-elle réagir ? Réduire sa consommation de viande ou réduire sa consommation de bière ? Devant le barbecue, le dilemme est cornélien, surtout quand il fait bien chaud !

Le rapport spécial du GIEC paru le 10 octobre dernier nous a mis en garde encore une fois sur l’urgence d’agir pour limiter notre impact sur le climat planétaire. Mieux vaut y penser maintenant, sans quoi il va faire soif !

Le dilemme de la croissance

L’intensité de cette demande pour chaque dollar du produit mondial brut (PMB) dépend de plusieurs facteurs, comme le type d’activités qui sont nécessaires pour soutenir le développement, le prix et la disponibilité des matériaux recherchés. Naturellement, les technologies utilisées pour l’extraction des ressources, la production des biens, leur utilisation et la disposition des déchets déterminent les impacts de la consommation. Mais d’abord, quelles sont les forces motrices qui vont déterminer cette croissance ?

L’augmentation de la population humaine et de la richesse individuelle sont les deux premières de ces forces. Il s’ajoutera deux milliards de personnes à la population planétaire, et la majorité vivra dans des villes de plus en plus grandes. L’OCDE prévoit que le PMB va quadrupler d’ici 2060, et que le produit national brut (PNB) moyen des pays émergents égalera celui des pays développés. Par comparaison, entre 1970 et 2005, le PMB a triplé.

Dans les pays émergents et dans les pays en développement, l’intensité de la demande en matériaux va donc augmenter. Dans les pays déjà industrialisés, en revanche, elle va diminuer. Mais au total, l’OCDE prévoit que si l’intensité de la demande en matériel et en énergie chute d’ici 2060, ce sera moins vite que la croissance économique. Cela signifie que nous produirons beaucoup plus de déchets, de polluants et de gaz à effet de serre (GES) qu’aujourd’hui au terme des courses si des mesures énergiques ne sont pas prises dès maintenant.

Par exemple, pour les projections d’émission de GES, elles culmineraient à près de 80 milliards de tonnes de CO2 équivalent par année, en 2060, contre environ 50 milliards aujourd’hui. Cela serait catastrophique pour le climat planétaire et nous amènerait à un réchauffement dépassant largement quatre degrés Celsius, avec une augmentation rapide du niveau de la mer et des conséquences catastrophiques bien avant la fin du siècle. Pour stabiliser le climat à 1,5 degré au-dessus de la moyenne préindustrielle, le dernier rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) signale qu’il faudrait absolument que les émissions nettes de GES soient à moins de zéro dès 2040. Jugez de l’ampleur du défi !

En revanche, le rapport signale qu’on fera plus de recyclage en raison du prix plus élevé et de la rareté relative des ressources primaires. Mince consolation ! Quant aux technologies, leur déploiement sera une affaire de marché. Si elles permettent de faire des économies, on les adoptera plus largement. C’est typiquement un raisonnement économique primaire.

Bien sûr, des prévisions économiques ne sont pas un chemin obligé. L’avenir n’est pas écrit. C’est là que les gouvernements de tout acabit entrent en scène.

Des municipalités jusqu’à l’ONU, les divers paliers de gouvernement ont un rôle incontournable à jouer dans la régulation de l’économie. C’est à eux d’établir les règles du jeu dans lesquelles les acteurs économiques pourront agir. Des mécanismes comme la fiscalité verte, par exemple, peuvent faire la différence en favorisant le déploiement de certaines technologies.

Les règlements encadrant le recyclage, la gestion des impacts environnementaux de l’extraction des ressources et l’interdiction pure et simple de certains produits sur le marché peuvent faire toute la différence. Mais pour cela, il faut que les gouvernements ne se contentent pas de stimuler la croissance économique et d’assister au pillage et à la destruction de l’environnement.

Sans courage politique, le scénario de l’OCDE est un cauchemar. Il faut agir tout de suite, notre avenir en dépend.

Une nouvelle révolution verte?

Les engrais azotés sont devenus nécessaires, selon un article paru le 15 août dans la revue Nature avec la Révolution verte qui a permis de doubler entre 1961 et 1985 la production de céréales de 741 millions de tonnes à 1,62 milliard de tonnes. La population mondiale s’accroissait de 50 % dans la même période. Cette performance, qui a contribué à réduire la faim dans le monde, s’est faite en développant de nouvelles variétés agronomiques et de nouvelles techniques de culture mettant en vedette la mécanisation, la fertilisation et la lutte chimique aux ravageurs des cultures. Mais l’augmentation de la demande en engrais azotés s’explique en partie parce que les variétés de plantes développées pendant cette période pour en augmenter le rendement ont perdu leur capacité naturelle à absorber l’azote. Selon les auteurs, cela est dû à une protéine synthétisée par les plantes qui les empêche d’assimiler efficacement les nitrates. Il faut donc en mettre beaucoup plus dans les champs, avec comme conséquence le lessivage vers les eaux de surface et le transport par l’érosion des sols qui se traduisent par un enrichissement catastrophique des eaux douces et des estuaires maritimes. Cet enrichissement, appelé eutrophisation, provoque des éclosions massives d’algues et une déplétion de l’oxygène dans l’eau qui rend précaire la survie des espèces de poissons les plus exigeantes.

En modifiant génétiquement les variétés de riz, de blé et autres céréales, on pourrait y introduire un gène capable de fabriquer une hormone naturelle qui permet de dégrader la protéine et restaurer la capacité des plantes issues de la Révolution verte à assimiler plus efficacement les nitrates. Cela permettrait d’utiliser moins d’engrais et ouvrirait ainsi potentiellement la voie pour une nouvelle Révolution verte.

L’intérêt scientifique de cette découverte est indéniable, mais il faut voir un peu plus loin. Les promesses d’amélioration des rendements des cultures par le génie génétique ont été nombreuses dans les dernières années, mais elles ont surtout enrichi les compagnies agrochimiques et on commence aujourd’hui à voir les limites des cultures transgéniques, en particulier la résistance au glyphosate qui s’installe dans les plantes adventices des cultures et crée des « super mauvaises herbes » contre lesquelles il est très difficile de lutter efficacement. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de vendre un produit chimique supplémentaire, mais au contraire, cela réduirait le recours aux fertilisants. Il y a fort à parier que les nouvelles semences seront brevetées et vendues à fort prix. Cela en limitera l’accessibilité pour les agriculteurs les plus pauvres. Ceux-ci devront se contenter d’une moindre productivité ou abandonner leurs terres au profit des plus grands producteurs.

Les brevets sur le vivant sont quelque chose qui était impensable lors de la première Révolution verte. Aujourd’hui, ils font la fortune de quelques grandes entreprises et il est probable que cette mainmise perdure dans un avenir prévisible. Cela pose un important problème éthique auquel il faut réfléchir si on veut réaliser l’Objectif 2 de l’Agenda 2030 qui propose d’éliminer la faim d’ici 2030. Le développement durable interpelle la science, mais aussi le droit et le comportement des entreprises.

Claude Villeneuve

Adapter la forêt au nouveau climat

Le 18 août, une étude signée par des chercheurs québécois établissait qu’en l’absence de modifications dans le régime des perturbations, la productivité de la forêt boréale pourrait augmenter de 10 à 16 % si le climat se réchauffait jusqu’à 2 degrés Celsius, mais décliner rapidement si le réchauffement est plus élevé. Or, il est plus que probable qu’en l’absence d’un solide engagement des États et d’un déploiement rapide, massif et soutenu des moyens de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le seuil de 2 degrés sera atteint dans moins de 30 ans. Les prévisions modérément pessimistes nous prédisent même un réchauffement de plus de 4 degrés d’ici la fin du siècle. Cela se traduirait par des conditions de croissance fort mal adaptées aux espèces typiques de la forêt boréale dans la majorité de leur aire actuelle de répartition. Comment devrions-nous réagir à cette situation, compte tenu de la forte dépendance de l’économie régionale à la ressource forestière ?

Dans les dernières années, après le film L’erreur boréale et la Commission Coulombe, le Québec a réformé son mode de gestion de la forêt. La nouvelle norme d’aménagement forestier vise une approche dite écosystémique qui préconise qu’on protège les vieilles forêts et les espèces qui y sont associées. Surtout, on s’oblige à aménager la forêt de telle sorte qu’à terme, on retrouve l’état idéal de la forêt préindustrielle. C’est la forêt telle qu’on l’imagine avoir été au dix-neuvième siècle, avant le début du réchauffement climatique et de l’exploitation commerciale. Dans le contexte décrit par l’étude de Loïc d’Orangeville et ses collègues, cette prétention devient presqu’illusoire. En effet, une forêt préindustrielle, issue du Petit âge glaciaire, serait soumise à un stress intenable si la température moyenne augmente de plus de 2 degrés. Comme les interventions d’aménagement forestier qui sont réalisées aujourd’hui porteront leurs fruits dans 60 ans et plus, ne faudrait-il pas y intégrer l’adaptation aux changements climatiques dans une approche préventive ?

À l’UQAC, depuis 2001, nous travaillons sur cette hypothèse et avec Carbone boréal, nous avons créé un laboratoire de plus d’un million d’arbres plantés pour tester des variations des pratiques d’aménagement forestier et suivre l’adaptation des arbres aux changements climatiques. Par exemple, nous avons planté des plants de la même espèce dont les graines proviennent de 600, 400 et 200 kilomètres plus au sud à côté des plants de provenance locale. Nous avons aussi planté des espèces provenant du sud du Québec sur des terres agricoles en friche pour suivre la performance de ces arbres dans le nouveau climat. Cette recherche sur l’adaptation aux changements climatiques se double d’un projet de lutte aux changements climatiques qui permet depuis 10 ans à chacun de compenser ses émissions de gaz à effet de serre en encourageant la recherche.

Devant le réchauffement inéluctable du climat, il faut agir de façon préventive et transformer nos interventions d’aménagement forestier. Vouloir reproduire le passé c’est bien, mais cette approche risque de présenter rapidement des limites et pourrait s’avérer contre-productive. La science est là pour nous aider à prendre de meilleures décisions.

Claude Villeneuve

Est-ce possible ?

La 24e conférence des Parties Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques se tiendra à Katowice en Pologne début décembre. C’est là que les pays doivent entériner leurs engagements envers l’Accord de Paris qui rentrera en vigueur à la fin de 2020. Les représentants des pays signataires sont sortis cette semaine de la conférence préparatoire un peu perdus. D’abord, le retrait des États-Unis et les mesures prises par l’administration Trump pour affaiblir les pouvoirs de l’Agence de protection de l’environnement affaiblissent l’Accord. Le deuxième plus grand émetteur de la planète continuera vraisemblablement d’alourdir son bilan. Il faudra donc que les autres pays rehaussent leurs cibles de réduction. Sans cela, il n’y a aucune chance de maîtriser le réchauffement du climat d’ici 2100 à moins de 3 ou 4 degrés Celsius. Cela entraînera une augmentation du niveau de la mer qui dépassera 1 mètre et qui se continuera jusqu’à 6 ou 7 mètres dans les trois siècles à venir. Un article paru cette semaine dans Nature prévoit que les réserves d’eau douce qui alimentent Miami seraient contaminées par l’eau salée dans moins de 30 ans. Est-ce possible de l’éviter ?

Pourtant, les négociations piétinent toujours. On attend pour cet automne un rapport spécial du GIEC qui indique qu’on ne pourra pas atteindre la cible de limiter le réchauffement à moins de 1,5 degré sans un déploiement massif et immédiat de mesures de captation du CO2. Cela coûtera très cher. Après l’été dévastateur qui se termine, il est clair que des sommes colossales seront aussi nécessaires pour permettre l’adaptation des populations les plus vulnérables. Est-ce possible de trouver cet argent ?

Pour sa part, l’Institut de recherche sur l’économie contemporaine (www.irec.quebec) a publié une note qui démontre que la cible du gouvernement canadien pour l’Accord de Paris est déjà hors d’atteinte, malgré les propos vertueux de Justin Trudeau. La cible de -37,5 % du Québec est elle aussi hypothétique, tout comme la réduction de -20 % en 2020 sans un achat massif de crédits de carbone en Californie. Est-ce possible qu’on n’en parle pas dans la campagne électorale ?

Enfin, si vous avez mis des photos de votre chat sur Facebook, il y a de grosses chances que cela crée une demande d’électricité dans un « data center » quelque part en Amérique du Nord où on la produit avec des carburants fossiles. La croissance de la demande en électricité du parc informatique et des technologies de la communication (TIC) est telle, qu’un article publié dans Nature le 12 septembre prévoit qu’elle atteindra dans moins de 12 ans l’équivalent de 8 % (dans le meilleur des cas) à 21 % de toute l’électricité produite sur la planète. Actuellement, les « data centers » consomment 200 térawattheures, l’équivalent de toute l’électricité produite au Québec dans une année. Cela correspond au tiers de la consommation des TIC. Si la tendance se maintient, les TIC consommeront 60 fois plus en 2030. À ce moment, ce secteur produira plus de gaz à effet de serre que le transport aérien et maritime combiné. Est-ce possible ?

D’ailleurs, il est prévu que le nombre de passagers transportés en avion va doubler d’ici 2030 pour atteindre 8 milliards de voyageurs en raison principalement de la multiplication des liaisons « low cost ». Est-ce possible que tout cela se produise en même temps ?

Si on se contente de suivre les tendances, si les politiciens n’ont pas le courage d’aborder ces questions maintenant, la crise est inévitable. La croissance économique doit être questionnée à la lumière du développement durable sinon rien de tout cela ne sera possible.

Claude Villeneuve

Si c’est raté, on fait quoi ?

En effet, le calcul du chiffre magique de la quantité d’émissions nécessaires pour réchauffer le climat planétaire ne tient compte que des émissions humaines. Mais le réchauffement va provoquer la fonte de pergélisol. Cela cause d’importantes émissions de méthane et de CO2 par la décomposition de la matière organique qui y est stockée. Cet effet indirect est difficile à quantifier, mais les simulations réalisées par Thomas Gasser, chercheur à l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués en Autriche et ses collègues ont permis de recalculer le budget carbone en tenant compte de cet effet pergélisol. Si cela devait nous surprendre, le résultat montre que la cible sera encore plus difficile à atteindre. Comme je le disais en 2013, il est déjà trop tard. Alors qu’est-ce qu’on fait ?

D’abord, il faut savoir que l’approche du budget carbone est un calcul très simplifié qui a été inventé pour faire comprendre aux décideurs la nécessité d’agir et que la limite de 2 degrés est une estimation d’un seuil à ne pas dépasser pour permettre l’adaptation. Leurs fondements scientifiques sont certes solides, mais dans les deux cas, il demeure d’énormes incertitudes pour prédire correctement l’évolution du système climatique. Il faut comprendre que la planète n’évolue pas de manière linéaire et que l’expérience que nous sommes en train de lui faire subir n’a aucun comparable historique. Donc pour être clair, il faudrait dire que les probabilités de ne pas dépasser un réchauffement de 2 degrés s’amenuisent à mesure que le temps passe et que les émissions anthropiques continuent de s’accumuler dans l’atmosphère. Mais si la cible est ratée, faut-il baisser les bras ? Surtout pas !

La lutte aux changements climatiques est le plus important défi que l’humanité aura à relever dans les prochaines décennies. Les conséquences seront moins graves si on limite le réchauffement à 2,5 ou à 3 degrés que si on laisse dégénérer les choses vers un réchauffement de 4 ou même de 6 à 7 degrés comme le prévoient les scénarios les plus pessimistes (voir le scénario Trump paru dans cette chronique le 11 juillet dernier). Nos politiciens ont tendance à se fixer des objectifs peu réalistes dans le domaine climatique parce que le résultat à atteindre dépasse leur mandat. On le voit bien avec les cibles du Canada et du Québec qui seront ratées, tant pour 2020 que pour 2030.

Depuis 1990, les gouvernements hésitent à prendre le taureau par les cornes et à engager la nécessaire transformation de l’économie qui nous permettra de sortir de l’ère des combustibles fossiles. Il s’agit d’une transition à la fois technique, comportementale et culturelle qui concerne tout le monde et son voisin, donc au premier chef vous et moi. S’entendre sur une cible n’est pas un résultat. C’est comme prendre une résolution du jour de l’An. Ça ne fait pas maigrir si on ne change pas ses habitudes. Les économistes sont de plus en plus d’accord, il en coûtera énormément plus cher de réparer les dégâts attribuables à un climat détraqué que d’agir maintenant pour les prévenir. Il est plus que temps de se retrousser les manches !

Claude Villeneuve

Déjà trois décennies

Avec la Stratégie mondiale de la conservation en 1980, l’idée de DD a fait son chemin à l’échelle internationale. En 1987, avec la publication du rapport Brundtland, le terme devenait incontournable, mais le concept demeurait immature. Toutefois, l’approche DD exigeait de travailler avec les pouvoirs établis et les parties prenantes pour faire changer le cours des choses. C’est en 1988, alors que je donnais un cours sur le rapport Brundtland qu’un étudiant m’a demandé comment on pouvait mesurer la durabilité. Depuis, je travaille à répondre à cette question. En créant à l’UQAC les programmes en écoconseil et la chaire en écoconseil, nous avons pu à la fois partager nos acquis en formant des professionnels du DD et continuer de faire avancer la question. Cette semaine, nous recevons nos partenaires de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD) pour faire le bilan d’un partenariat de recherche de 4 ans sur l’analyse systémique de durabilité (ASD). Les acquis de ce partenariat sont remarquables, mais ils n’auraient pas été possibles sans la profondeur de nos travaux depuis 1988.

Le partenariat est une association gagnant-gagnant. L’UQAC disposait déjà d’une expertise et d’outils, l’IFDD avait besoin de faire avancer au sein des pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie le nouveau Programme de développement durable des Nations Unies à l’Horizon 2030 (PDD H-2030). Nous avions besoin de diffuser les savoirs et l’appétit des pays, particulièrement en Afrique, pour opérationnaliser le DD était plus que présent. Le partenariat a permis de créer un programme court de deuxième cycle qui a été expérimenté à l’UQAC et offert par la suite à des boursiers originaires de huit pays africains au Maroc en avril dernier. De nouveaux outils d’ASD adaptés au PDD H-2030 et de nouvelles applications des outils existants ont pu être développés. Ils sont maintenant utilisés dans une vingtaine de pays et reconnus par l’ONU.

Plus encore, nous avons pu faire avancer la notion d’ASD dans deux colloques internationaux. Trop souvent l’application du DD se présente comme une affaire sectorielle. Énergie, santé, infrastructures, institutions, industries ; chaque secteur aborde la durabilité à partir de prémisses qui lui sont propres. De même, la responsabilité du DD est confiée à un service ou à un ministère. Les ornières du travail en silos font le reste, ce qui explique de nombreux échecs d’initiatives pourtant motivées par de bonnes intentions. L’approche systémique permet de considérer globalement les multiples tenants et aboutissants du développement durable à diverses échelles et de confier à chacun ses responsabilités tout en recherchant les synergies et en évitant les antagonismes. Avec nos outils, on peut concevoir, planifier, mettre en œuvre et évaluer des politiques, stratégies, programmes et projets de DD en cohérence avec le PDD H-2030.

Certaines choses prennent du temps, beaucoup de temps pour arriver à maturité. Trente ans, ce n’est pas si long !

Un combat inégal

Peu après son entrée en fonction l’an dernier, le président Trump a nommé à la tête de l’Agence pour la protection de l’environnement des États-Unis (EPA), un avocat, Scott Pruitt, dont les opinions climato-sceptiques et les clients dans l’industrie des carburants fossiles étaient de notoriété publique. À l’instar de son patron, M. Pruitt n’a pas tardé à affaiblir les exigences règlementaires visant à limiter la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à prôner que les scientifiques ne s’entendent pas sur la responsabilité des humains dans le réchauffement du climat observé depuis le début de l’ère industrielle. Jusque-là, on est dans la politique et la communication d’opinions. Mais M. Pruitt a évoqué des « preuves scientifiques secrètes » à l’effet que le réchauffement était dû à des causes naturelles. Or, il n’existe pas de telle chose qu’une « science secrète », sauf peut-être dans le domaine de la Défense nationale. Et même là, il s’agit rarement de science fondamentale. Par exemple, dans le développement de la bombe atomique, il y a eu une période dans laquelle les architectes du projet Manhattan n’ont pas eu le droit de publier leurs résultats, mais les travaux fondamentaux sur le noyau atomique qui ont servi à Enrico Fermi et à son équipe avaient été publiés auparavant dans des revues spécialisées.

Un groupe nommé Public Employees for Environmental Responsibility a fait une demande d’accès à l’information pour que le directeur de l’EPA rende publiques les études auxquelles il réfère pour soutenir ses affirmations qui contredisent le consensus scientifique à l’effet que l’activité humaine est la principale explication au réchauffement climatique observé, basé sur des études publiées. Vendredi dernier, le juge Beryl Howell de la Cour fédérale du District de Columbia a ordonné à l’EPA de rendre publiques ces soi-disant études scientifiques. Si la décision n’est pas portée en appel, cela devrait être fait dans un délai maximum d’un an.

Depuis 30 ans que je m’intéresse aux changements climatiques, j’ai lu des centaines d’articles publiés dans toutes sortes de revues arbitrées par les pairs en plus de cinq séries de rapports du GIEC, sans compter les rapports divers publiés par toutes sortes d’académies scientifiques, la Banque mondiale, la FAO et bien d’autres. Bref des dizaines de milliers de pages signées par des milliers d’auteurs provenant de tous les horizons. Si tout va bien, je pourrai enfin lire la soi-disant science secrète sur laquelle s’appuient les climato-sceptiques et juger de sa qualité ! Nous pourrons en discuter entre experts, en critiquer les méthodes et les conclusions, comme nous offrons à la critique nos méthodes, résultats et conclusions depuis toujours.

Malheureusement, je n’y crois pas trop. Il n’y a pas de science secrète. Les appels en justice sont chose commune et Pruitt s’y connaît certainement mieux en la matière qu’en science du climat. Le combat est inégal.

La fonte des glaces s’accélère

Voyons d’abord la glace de mer. Dans l’océan Arctique, la banquise ne cesse de s’amincir et la surface d’eau libre s’agrandit chaque été. Le phénomène est bien compris et on le suit chaque mois par le site HTTP ://nsidc.org/arcticseaicenews/. On y apprend que la couverture de glace de mai 2018 est la deuxième plus faible après 2016 et que la tendance à la réduction de la surface de glace est de 36 000 kilomètres carrés par décennie depuis 1981, c’est-à-dire une réduction annuelle équivalant à 36 fois la surface du lac Saint-Jean. La réduction la plus spectaculaire est celle des glaces vieilles de 5 ans et plus qui ont virtuellement disparu au détriment de glaces plus jeunes et plus minces, qui fondent plus facilement en été, ce qui accélère le phénomène. Dans l’Antarctique, avec l’automne austral, la surface glacée augmente à grande vitesse, mais la surface couverte par la glace était en mai la troisième plus faible jamais enregistrée.

Les banquises sont formées par l’eau de l’océan. Leur fonte ne contribue donc pas à l’élévation du niveau de la mer. Il en va différemment de la glace des inlandsis. La fonte des glaciers continentaux se manifeste de deux façons : par le ruissellement de l’eau de fonte vers les océans et par le vêlage d’icebergs ou le détachement de plateformes alimenté par les langues des glaciers. Cette glace fondra lentement dans son périple et s’ajoutera au volume d’eau des océans. Un article paru dans Nature le 13 juin 2018 démontrait que la vitesse de perte de glace de l’Antarctique avait triplé depuis 2007. Cela correspond à 2720 ± 1390 milliards de tonnes de glace entre 1992 et 2017, ce qui représente une hausse du niveau de la mer de 7,6 ± 3,9 millimètres. L’incertitude sur les mesures est importante, mais les chiffres restent très significatifs. Cela représente l’hypothèse la plus pessimiste prévue par le GIEC dans sa modélisation de la contribution de l’Antarctique à la hausse du niveau de l’océan au 21e siècle. Mais l’Antarctique n’est pas la seule source d’eaux de fonte. On estime que le Groenland a perdu 1000 milliards de tonnes de glace entre 2011 et 2014. Les glaciers de montagne, même s’ils représentent une très faible proportion de la cryosphère, contribuent à la hausse du niveau de l’océan dans le même ordre de grandeur. Mais l’apport des eaux de fonte n’est pas la seule déterminante du rehaussement du niveau de la mer. L’eau, lorsqu’elle est plus chaude, se dilate et occupe plus d’espace.

À ce rythme d’accélération, le niveau de la mer pourrait avoir augmenté de 60 centimètres en 2050. C’est très inquiétant. Avec une augmentation du niveau de la mer de 15 centimètres, une zone qui est inondée une fois par année le sera 20 fois plus souvent. De plus, l’érosion des berges va s’accélérer, spécialement lors des tempêtes.

Ce phénomène est inéluctable. Le réchauffement du climat que nous observons aujourd’hui est lié à nos émissions passées de gaz à effet de serre. Or, nous continuons d’augmenter ces émissions et le climat continue de se réchauffer. Il est primordial, là où c’est possible, de protéger les côtes et les infrastructures existantes, d’éviter d’investir dans les zones riveraines et de se préparer à accueillir des réfugiés climatiques.