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Une histoire écrite dans la glace

On fait depuis longtemps l’histoire du climat en forant des carottes dans la glace du Groenland et de l’Antarctique. Ces carottes sont obtenues par des forages dans la glace qui peuvent atteindre plus de deux kilomètres de profondeur. On peut ainsi remonter plus de 100 000 ans dans le temps, puisque la glace est formée par les dépôts de neige qui tombe chaque année et qui ne fond pas. C’est la pression qui transforme la neige en glace. Mais la neige n’est pas seulement un moyen de connaître la température. Elle se charge aussi dans les nuages de polluants atmosphériques divers, comme le mercure ou le plomb.

L’étude, réalisée par une équipe de l’Université d’Oxford, a examiné une section de 425 mètres de long d’une carotte de glace datée entre -1235 à +1257 de notre ère. Sur cette période, les scientifiques ont analysé la concentration de plomb présente dans chaque section d’un mètre mise à fondre du bas vers le haut en continu. Avec un spectromètre de masse capable de détecter le plomb à des concentrations infinitésimales (0,01 picogramme ou un millionième de millionième de gramme). La courbe obtenue a ensuite été comparée avec celle obtenue par d’autres méthodes de datation utilisant les anneaux de croissance des arbres et les éruptions volcaniques pour corroborer les événements historiques. On a ainsi pu obtenir une courbe qui a permis de reconstruire les grandes lignes de l’histoire de l’Empire romain avec une très grande précision, puisqu’on pouvait isoler l’équivalent de 12 échantillons par année de la période à l’étude.

Le plomb était utilisé abondamment dans l’Empire romain. On l’extrayait des mines et le métal une fois fondu, on en faisait des tuyaux d’aqueduc ou des feuilles qui servaient à renforcer la proue des navires. Comme le plomb est souvent associé à l’argent dans les gisements, son abondance est aussi un indice de l’activité économique puisque la pièce d’un denier, couramment utilisée dans l’Empire romain était faite d’argent. Pour séparer l’argent du plomb, il fallait chauffer le minerai. La demande d’argent pour frapper la monnaie entraînait donc plus d’émissions de plomb. La signature historique des concentrations de plomb dans la glace du Groenland montre des fluctuations qui coïncident avec des périodes historiques bien documentées et permet ainsi de suivre un indicateur de l’économie de la civilisation dominante du bassin méditerranéen. Par exemple on peut détecter des événements aussi pointus que la décision de Néron de réduire la proportion d’argent à 80 % dans la pièce d’un denier à partir de l’an 64, ce qui a diminué la demande pour l’argent. La grande crise de l’Empire survenue entre 235 et 284, tout comme son effondrement en 476 sont aussi bien visibles.

De nombreux historiens ont tenté d’établir ce que pouvait être le produit national brut de l’Empire romain. Leurs méthodes comportaient toutefois beaucoup d’approximations et d’hypothèses difficiles à démontrer. Avec la signature du plomb dans les carottes glaciaires, on dispose d’un témoignage étonnamment précis de l’activité économique. Avec un peu d’imagination, c’est comme si vous y étiez.

Lavoisier disait que « Rien ne se perd, rien ne se crée ». Si nos aïeux pensaient qu’on peut oublier ses dettes en les écrivant sur la glace, la science nous montre que l’histoire laisse des traces indélébiles dans la glace par la pollution qui y est séquestrée. La glace a la mémoire plus longue qu’on pensait !

https://www.lequotidien.com/chroniques/claude-villeneuve/une-histoire-ecrite-dans-la-glace-36fea472d8552f2964fc2d7274d59eeb

Le poids des vivants

Première surprise, bien que les océans couvrent 70 % de la surface planétaire, ils n’abritent que 14 % de la biomasse totale, l’écrasante majorité (13 %) étant composée de bactéries des fonds marins. Donc 86 % du poids des êtres vivants se trouve sur les continents. Cela porte à réfléchir quand on considère que l’ensemble des pêcheries à l’échelle mondiale dépend de si peu.

Les plantes forment de façon moins surprenante 82 % de la masse des êtres vivants. Cette disproportion est explicable non seulement parce que les forêts stockent d’énormes quantités de biomasse, mais surtout parce que les plantes font la photosynthèse en captant l’énergie solaire et le CO2 atmosphérique. Elles sont donc à la base de tous les réseaux alimentaires. Les animaux s’en nourrissent et à chaque niveau trophique, des herbivores aux carnivores, il y a des pertes énergétiques, ce qui diminue proportionnellement la biomasse à chacun des niveaux.

Les sept milliards et demi d’humains qui vivent sur la planète ne pèsent que 0,01 % de la biomasse totale, mais si on compare leur poids à celui de tous les mammifères vivants sur terre et dans les mers, cette proportion passe à 36 %. Plus surprenant encore, le poids des animaux d’élevage qui sont destinés à notre alimentation représente 60 % de la biomasse des mammifères ne laissant aux mammifères sauvages que 4 % du total. Pour leur part, les volailles d’élevage, poulets, dindes, canards, autruches et autres pintades forment 70 % de la biomasse des oiseaux sur la planète, ne laissant que 30 % pour les oiseaux sauvages. Comment cela est-il possible ?

Dans l’histoire de l’humanité, nos ancêtres ont fait disparaître progressivement d’immenses populations d’animaux sauvages et de forêts pour développer l’agriculture. Dans l’est de l’Amérique du Nord, par exemple, les forêts qui existaient là où on cultive aujourd’hui des céréales sont disparues au 19e siècle. Les millions de bisons qui vivaient dans les plaines de l’Ouest ont été pratiquement exterminés pour faire place à des champs de céréales et à des troupeaux de vaches. Au Brésil et ailleurs, des superficies immenses de forêts tropicales ont cédé le pas à des champs de soja et à des troupeaux de bovins. Dans un élevage industriel de poulets, on retrouve beaucoup plus de biomasse que l’ensemble des perdrix qui vivent dans une zone de 100 kilomètres carrés autour du poulailler. En conséquence, il y a eu un remplacement des espèces sauvages par les humains et leurs animaux domestiques.

C’est ainsi que les auteurs de l’article concluent que depuis 10 000 ans, les humains ont fait disparaître massivement la vie sauvage. On aurait ainsi perdu en terme de biomasse 86 % des mammifères terrestres, 80 % des mammifères marins, 50 % des plantes et 15 % des poissons. Certaines espèces ont carrément disparu, d’autres se sont raréfiées au même rythme que se transformait leur habitat.

Tout cela fait réfléchir. En prenant conscience de ces chiffres, il devient impératif de repenser notre développement, notre alimentation et nos efforts de protection de la nature.

Belle discussion autour de votre prochain barbecue !

Un cadre de référence utile

La session où j’intervenais s’intitulait « Environnement et développement durable ; un impact réel sur la paix en Afrique ». Mon sujet portait sur le développement durable, et en particulier le Programme de développement durable à l’horizon 2030 (PDD H-2030) et comment les axes prioritaires du Rotary International et de sa Fondation cadraient avec les 17 objectifs (ODD) qui le composent. C’était un sujet relativement facile. Les six axes du mouvement interpellent directement les cibles de huit des 17 ODD et il serait facile pour eux d’en rejoindre cinq autres s’ils adoptaient ce cadre de référence pour planifier leurs activités. Ma présentation peut être téléchargée sur le site de la Chaire en éco-conseil (http ://ecoconseil.uqac.ca).

Il existe plusieurs mouvements qui œuvrent dans la même veine que le Rotary. Certains comme le Kiwanis, les Optimistes, les Lions sont très présents dans nos communautés et y font des projets concrets, contribuant aux mieux-être des jeunes, des personnes handicapées, et bien d’autres. Ces mouvements, réunissant des personnes de bonne volonté intéressées à s’entraider pour construire un monde meilleur font souvent du développement durable sans s’en rendre compte. En reliant leurs actions ou leurs campagnes de financement à des objectifs plus larges qui font le consensus à l’échelle internationale, ils pourraient eux aussi trouver un cadre de référence qui leur permettrait de mieux situer leurs actions dans cette mouvance mondiale.

Se situer dans la mise en œuvre du développement durable ne veut pas dire être militant écologiste. Beaucoup de gens l’ignorent. Il y a même des militants écologistes qui rejettent carrément le développement durable qui se disqualifie à leurs yeux parce qu’il n’est pas assez radical. Il faut dire que le spectre des positions dans ce domaine est large. Le modèle de développement durable de la Chaire en éco-conseil développé à partir des travaux originaux que j’ai initiés avec des collègues de la Région laboratoire du développement durable au tout début des années 1990 et poursuivi avec mes étudiants et de nombreux intervenants de terrain comporte six dimensions. La gouvernance, l’éthique, l’économique, l’écologique et le social s’y retrouvent déclinés en 40 thèmes qui interagissent de façon dynamique. Les outils que nous avons créés en partenariat avec l’Institut de la Francophonie pour le développement durable permettent d’encadrer les politiques, stratégies, plans, programmes et projets pour les bonifier avec l’aide des parties prenantes en respectant les objectifs de chacun. Ces outils sont gratuits et ils sont maintenant utilisés partout dans le monde.

« Tous les humains sont de ma race » disait Gilles Vigneault dans sa chanson Mon pays, c’est l’hiver. Le développement durable vise le bénéfice des humains d’aujourd’hui et de demain, partout sur la planète dans la paix et le respect des équilibres écologiques. Nous n’aurons jamais trop de bonnes volontés pour y arriver !

La fin des pompistes?

Des fabricants automobiles s’y mettent aussi, avec Volvo qui veut éliminer progressivement le moteur à explosion de ses modèles. Volkswagen et Toyota ont promis d’emboîter le pas en offrant la motorisation électrique sur tous leurs modèles d’ici 2030. Tesla, pour sa part, n’a jamais utilisé cette technologie. Après 150 ans de domination incontestée, l’invention de Gottlieb Daimler ne se retrouvera-t-elle plus qu’au musée ?

L’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) a publié la semaine dernière une note signée par Gilles L. Bourque, économiste au Fondaction de la CSN. La fiche technique intitulée Bannir les véhicules à combustion : pourquoi pas au Québec ? qu’on peut télécharger, montre de manière convaincante que pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce serait un moyen efficace qui comporterait un minimum de risques économiques. En effet, le Québec dispose d’importantes réserves d’hydroélectricité propre et ne dépend en rien de l’industrie automobile. En plus, le sous-sol québécois dispose d’importantes réserves de minerais stratégiques (lithium, cobalt, graphite et cuivre) que nous pouvons extraire dans des conditions enviables, surtout si les projets miniers font l’objet d’analyses de développement durable. Tout bénéfice ?

Bien sûr, comme le propose l’auteur, les bénéfices économiques, environnementaux et sociaux seraient tangibles. L’électricité est beaucoup moins chère et plus efficace que l’essence. Pour 10 kilowattheures présents dans un litre d’essence, on ne peut en utiliser qu’environ 1,4 pour mouvoir un véhicule à combustion interne, le reste est perdu en chaleur et en bruit. Pour sa part, le kWh d’électricité est transformé en mouvement à plus de 85 %. On fait donc 10 fois plus de kilométrage avec un dollar d’électricité qu’avec un dollar d’essence. Les avantages sociaux sont aussi de la partie, et évidemment l’environnement ne s’en porterait que mieux. La façon de faire cette transition serait aussi fort simple : il s’agirait de réviser la Loi sur les véhicules zéro émissions adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2016. Cette loi impose des seuils croissants de ventes de véhicules sans émission. En rehaussant la proportion des véhicules neufs sans émissions qui doivent être offerts chaque année par les concessionnaires, on pourrait arriver progressivement à interdire la vente de véhicules à combustion interne en 2030. Trop facile ?

L’idée est belle, mais la réalité est têtue. Même si ce plan est séduisant, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. En revanche, il faut regarder la question dans sa globalité et avec une pensée systémique. Plus de véhicules électriques individuels, ça fait juste des embouteillages plus propres et moins bruyants (si on débranche les klaxons). L’enjeu du transport urbain demande une combinaison de moyens dont le transport actif et collectif électrifié. Il faut aussi penser aux bornes de recharge. Elles sont coûteuses et le temps de recharge est encore rédhibitoire pour bien du monde. L’autonomie des véhicules est aussi un enjeu, surtout dans des régions forestières où on doit souvent parcourir deux cents kilomètres entre deux points de service. Certes, le métier de pompiste a connu ses heures de gloire, mais il reste encore quelques décennies avant qu’il ne disparaisse tout à fait.

Protéger la haute mer?

Après plus de 10 ans d’alertes scientifiques, de controverses légales et de débats politiques, le 24 décembre dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait la résolution 72/249 qui engageait les États à négocier une convention internationale « contraignante » pour la protection de la haute mer. Cette résolution, appuyée par 130 pays, appelle à la création d’un réseau mondial d’aires marines protégées dans les eaux internationales. Ces zones sont nécessaires pour préserver la biodiversité océanique malmenée par les changements rapides de l’environnement marin auxquels on assiste dans les dernières décennies. Pour n’en nommer que quelques-uns, la pression accrue des pêcheries hauturières sans contrôle, le réchauffement du climat, l’acidification océanique et l’accumulation de déchets plastiques rendent la vie dure aux poissons, aux oiseaux, aux tortues et aux invertébrés qui constituent une part encore méconnue de la biodiversité mondiale.

On ne peut pas dire que la protection du milieu marin soit très efficace. En effet, des tentatives de régulations marines internationales existent, mais elles sont généralement associées à une activité particulière. Il existe une Autorité internationale sur les fonds marins qui limite l’exploitation minière en haute mer, l’Organisation maritime internationale qui impose des règles à la navigation et même certains accords internationaux qui protègent des zones contre la pêche commerciale. Par exemple, quinze pays de l’Union européenne ont adhéré à la convention OSPAR (de Oslo et Paris, les deux premiers signataires) qui protège les eaux de l’Atlantique Nord-Est. Cependant, cette convention ne s’applique qu’aux pays signataires, les Russes peuvent donc s’en donner à cœur joie. Pourtant, les pays se sont engagés à une conservation de 10 % de la surface de haute mer dans les Cibles de la biodiversité de Aichi et dans l’Objectif de développement durable 14 du Programme de développement durable à l’horizon 2030. La plupart des scientifiques sont d’avis qu’il faudrait plutôt viser 30 %, mais c’est une autre histoire !

Un indicateur de surface, c’est bien, mais il faut savoir ce qu’on protège. En effet, 90 % de la haute mer constitue un presque désert biologique, en raison de sa faible productivité. Une aire marine protégée doit donc avoir certaines caractéristiques pour être efficace. Il faut une bathymétrie favorable à l’habitat des poissons et au brassage des nutriments, indispensable à la productivité végétale. Il faut aussi que les surfaces protégées soient assez grandes et de préférence organisées en réseaux interconnectés. Il faut enfin qu’elles soient respectées, donc surveillées, ce qui devient de plus en plus faisable par les satellites. Mais qui va faire la police ?

Des accords internationaux vertueux, mais inapplicables, basés sur l’action volontaire, on en compte des dizaines. Est-ce qu’on fera mieux pour protéger la haute mer ? C’est à voir.

«Parfum de sécheuse!»

Dans une étude parue dans la revue Science du 15 février dernier, Brian McDonald et ses collègues ont démontré que les COV provenant des pesticides, des peintures, des revêtements, des agents nettoyants et des produits de soin personnel détrônaient dorénavant les émissions provenant de l’essence et du diésel dans les villes.

À Los Angeles, par exemple, ces produits représentent 38 % des COV contre 32 % pour les polluants issus du transport, 15 % des sources industrielles et 14 % des raffineries. Mais encore ?

Les COV sont des produits organiques qui s’évaporent spontanément et qui tendent à former des aérosols, ces minuscules gouttelettes qui restent en suspension dans l’air. Lorsque vous faites le plein, vous reconnaissez l’odeur particulière de l’essence et du diésel par la signature olfactive de leurs COV respectifs. Les COV sont plus ou moins nocifs pour la santé, mais ils sont aussi des précurseurs du smog estival. Ce smog photochimique se traduit par la fabrication d’ozone troposphérique, un polluant très agressif qui cause d’importants problèmes de santé publique, particulièrement pour les gens qui souffrent de maladies cardio-respiratoires. Depuis les années 1970, les autorités environnementales des pays ont travaillé très fort pour limiter la pollution des automobiles et camions et ainsi réussi à réduire les émissions de COV de la filière transport. Mais pendant ce temps, les produits de consommation courante émettant des COV se sont multipliés sans entrave, ce qui explique la situation que les auteurs ont décrite. Incroyable ? Une analyse de ces divers COV montre qu’en termes de potentiel de formation d’aérosols précurseurs du smog, la part de ceux issus des produits de consommation s’élèverait à 42 %, contre 36 % pour les carburants.

Les odeurs synthétiques qui génèrent des COV ont aussi un effet sur la santé lorsqu’ils sont concentrés dans l’air intérieur. Les gens qui souffrent d’asthme ou d’autres maladies respiratoires peuvent en être affectés sérieusement. Mais on nous a fait croire que ces odeurs représentaient la propreté et la fraîcheur alors qu’ils ne servent qu’à masquer d’autres odeurs. Comme ces produits n’apportent rien, ni à la propreté, ni à l’hygiène, cela ne serait pas un gros sacrifice de les éviter.

Les auteurs de l’étude signalent que les gouvernements devraient règlementer ces substances, mais l’effort politique d’imposer à l’industrie des normes à cet effet serait semble-t-il rédhibitoire.

Les émissions de COV des produits à usage domestique illustrent bien l’effet du nombre sur la pollution. Une feuille d’antistatique parfumé pour chaque séchage de linge ne semble peut-être pas une grande charge polluante, mais quand chacun l’utilise, cela devient un problème environnemental.

Il y a deux façons de le régler à la source. Les consommateurs peuvent refuser d’en acheter ou n’acheter que le produit équivalent sans parfum chimique. Si l’industrie n’en vend pas, elle tentera dans un premier temps de faire de la publicité pour en mousser les prétendues vertus, ensuite, si les consommateurs persistent à ne pas les acheter, elle les retirera de la fabrication. Dans le deuxième cas, il faut que les gouvernements et les villes en règlementent ou en interdisent l’usage. C’est un processus beaucoup plus long, lourd et complexe. Il a fallu plus de 40 ans pour diminuer les COV de l’essence par la règlementation. Ça fait réfléchir.

Épurer la fumée des navires

Les échappements des navires représentent un cinquième des émissions mondiales de noir de carbone. Ce polluant produit un réchauffement local et à court terme en raison de sa capacité à absorber les rayons lumineux et à les transformer en chaleur. La fumée des navires, en plus de la suie et des gouttelettes de diésel, contient des oxydes de soufre qui acidifient les océans et contribuent au smog dans les villes portuaires, affectant la santé humaine, provoquant des surmortalités liées aux maladies cardio-vasculaires. La fumée des navires contient enfin des métaux lourds qui s’accumulent dans les réseaux alimentaires océaniques et affectent les poissons prédateurs et les mammifères marins.

L’enjeu émergent le plus grave concerne la navigation dans les glaces. En effet, le noir de carbone en se déposant sur les surfaces blanches comme la glace ou la neige produit son effet maximal. Alors qu’on parle de plus en plus de navigation commerciale et de croisières dans les eaux de l’Arctique, de l’Antarctique ou même du Saint-Laurent et du Saguenay, cela devrait préoccuper les autorités. La banquise de l’océan Arctique fond de plus en plus rapidement et tarde à se reconstituer en hiver, ce qui a des effets paradoxaux sur le climat à nos latitudes, comme on l’observe cette année.

Mais comment règlementer ce qu’on a de la difficulté à mesurer ? S’il est facile par exemple de transformer le nombre de litres de diésel brûlé en émissions de CO2 par une simple multiplication, la mesure du noir de carbone n’est pas une chose évidente. Il existe deux méthodes. La première consiste à passer un faisceau laser dans la fumée pour mesurer la quantité de polluants en fonction de la lumière absorbée par les particules. La seconde permet d’évaluer les émissions polluantes. À l’aide d’un filtre placé dans la cheminée pendant un temps donné. Les deux imposent des contrôles aux armateurs, ce qui ne fait évidemment pas leur affaire.

Mais il n’est pas nécessaire de mesurer les émissions pour les réduire. En changeant le mazout pour des carburants plus légers, on peut réduire le carbone noir de 35 à 80 % selon le type de navire et de chaudière. En installant un système de captage dans la cheminée, on pourrait collecter au moins 85 % des émissions de noir de carbone.

Les aérosols acides causés par les émissions d’oxydes de soufre ont un effet contraire à celui du noir de carbone. Ils reflètent la lumière et contribuent à un effet refroidissant. L’industrie maritime est actuellement obligée de réduire le contenu de soufre dans ses carburants pour passer de 3,5 % à 0,5 % en 2020. Le Canada, les États-Unis et l’Europe ont déjà appliqué ces normes, mais peu de bateaux sont immatriculés dans ces pays. Les armateurs préfèrent les pavillons de complaisance, moins exigeants.

En revanche, si on réduit le soufre sans réduire le noir de carbone, on n’est pas sortis de l’auberge. Un article paru le 6 février dans Nature Communications évalue que la nouvelle norme sur le soufre, si elle n’est pas accompagnée d’une réduction du noir de carbone, augmenterait le réchauffement attribuable à l’industrie maritime de 3 %.

Ce dilemme illustre la nécessité de penser à l’ensemble des composantes d’un problème. Il n’existe pas de solutions magiques en environnement !

Le 21 mars, le printemps?

Sur le terrain, tout le monde sait que sous nos latitudes l’hiver n’est pas fini le 21 mars. On a donc tendance à considérer que la saison printanière coïncide avec le débourrement des bourgeons et la feuillaison, c’est-à-dire fin avril ou début mai dans le sud du Québec et jusqu’à la mi-juin dans le Grand-Nord. La température influence donc la phénologie, c’est-à-dire les comportements des plantes et des animaux. La phénologie des animaux qui vivent ici à l’année est coordonnée avec la phénologie des végétaux, ce qui explique qu’on ne voit pas d’insectes en hiver.

Dans les zones tropicales où hivernent beaucoup des oiseaux qui nichent ici en été, la variation des températures est moins perceptible que celle que nous vivons ici. Leur départ pour nos latitudes est donc souvent coordonné avec l’allongement de la photopériode, alors que le débourrement des bourgeons et l’éclosion des larves d’insectes dépendent de la température locale. Lorsque les migrateurs arrivent chez nous pour nicher, ils doivent normalement précéder la sortie de leur nourriture, ce qui explique qu’ils s’installent en mai. L’élevage des jeunes demande une nourriture abondante et de haute qualité. Pour les insectivores, il vaut mieux disposer de larves bien grasses et tendres, comme les chenilles, que d’adultes fibreux, comme les papillons. Pour les herbivores, il faut une végétation en croissance et tendre plutôt que du foin mûr et dur.

Une étude parue le 2 mars dernier dans la revue Scientific reports observe que le printemps arrive de plus en plus tôt dans l’hémisphère nord et que cette tendance est d’autant plus marquée à mesure qu’on s’en va plus au nord. Ainsi, sur la période 1928-2013, ils ont remarqué que le printemps arrive en moyenne de plus en plus tôt et que le rythme de la dernière décennie varie en fonction de la latitude, de deux jours dans le sud des États-Unis à 16,5 jours plus tôt par décennie en Alaska. La tendance est plus marquée au nord du 50e parallèle soit à partir de Sept-Îles ou de Chibougamau. C’est très inquiétant, disent les chercheurs, car il est possible que les oiseaux qui migrent sur de très longues distances arrivent alors que leur nourriture favorite n’est plus au rendez-vous.

Le rythme actuel de devancement de l’arrivée du printemps dans les latitudes nordiques risque de s’accélérer à mesure que le climat se réchauffe. Bien sûr, les oiseaux peuvent s’adapter à des variations de quelques jours, voire de deux ou trois semaines. Mais si on parle de mois, dans 40 ou 50 ans, quelles seront les limites à leur adaptation ? Comment ce décalage affectera-t-il leur succès reproductif ? Ces questions restent ouvertes.

Il faut bien sûr plus de science pour y répondre. Les modifications de la phénologie et leur lien avec les changements climatiques sont une question fascinante qu’il faut étudier. Les changements climatiques vont bouleverser certains éléments qui nous semblaient immuables. Cela dit, il faut célébrer le printemps et profiter du retour des oiseaux migrateurs qui viendront égayer nos forêts. Demain le printemps astronomique, bientôt le printemps phénologique !

La consigne est plus efficace

Il semble que la consigne soit une partie de la solution. Une étude scientifique parue dans Marine Policy vient de démontrer de façon très élégante que la consigne des contenants de plastique pourrait réduire de 40 % la quantité de ces déchets sauvages. Comment les scientifiques ont-ils pu en arriver à une telle conclusion ?

L’étude s’est faite en recensant les bouteilles de plastique sur les côtes de l’Australie et des États-Unis. On a ensuite comparé le nombre de bouteilles par unité de surface entre les états des deux pays qui appliquent une consigne et ceux qui font simplement inciter leurs citoyens à les mettre au recyclage de façon volontaire. Les résultats sont étonnamment similaires entre les deux pays. Il y a 40 % moins de contenants abandonnés dans la nature qui se retrouvent sur les plages et les rochers dans les états qui imposent une consigne, que dans ceux qui ne le font pas. Mais n’y a-t-il pas d’autres facteurs qui pourraient expliquer cette différence ?

Pour s’assurer que c’était bien la consigne qui faisait la différence, les chercheurs ont été un peu plus loin. Ils ont regardé par exemple la richesse des habitants de chaque état examiné et ont trouvé une légère différence entre les états les plus riches dont les citoyens semblent jeter un peu moins de bouteilles dans la nature, mais la différence est minime. Il fallait creuser encore un peu. C’est là que la recherche montre toute son élégance.

Les chercheurs ont recensé séparément les bouteilles et les bouchons. On peut supposer que si la bouteille est consignée, les bouchons ne le sont pas. Les gens se voient donc rembourser la consigne, qu’ils retournent la bouteille avec ou sans bouchon. En supposant que les gens sont réellement influencés par la consigne et non pas par leur conscience environnementale, on peut poser l’hypothèse que plus de bouchons que de bouteilles se retrouveraient sur les rives des états qui imposent une consigne.

Et c’est exactement ce qu’ils ont trouvé ! Dans les états où on impose une consigne, il y a 40 % plus de bouchons que de bouteilles dans les déchets de plastique collectés sur les côtes.

C’est la première fois qu’une étude d’envergure montre l’efficacité de la consigne à une aussi grande échelle. Au-delà de la beauté de la méthode et de la clarté des résultats, le message qu’elle nous donne est clair : la consigne peut contribuer à régler le problème du plastique océanique à la source. Bien sûr, il faut plus d’éducation et des campagnes de sensibilisation pour changer les comportements, mais une politique de consigne est à la portée de tous les états. Qu’attend le Québec pour imposer la consigne à toutes les bouteilles de plastique ?

Grande tristesse à Pâques

Les Pascuans ont déboisé complètement cette île et leur civilisation s’est effondrée après moins de 600 ans d’occupation comme l’ont démontré de nombreuses études relatées dans le livre Effondrement  de Jared Diamond paru en 2006. Mais aujourd’hui, l’Île de Pâques est menacée par le réchauffement climatique qui provoque une hausse du niveau de l’océan.

La semaine dernière, le New York Times publiait un reportage très bien fait sur le phénomène de l’érosion lié au rehaussement du niveau de la mer qui menace l’île et ses statues mythiques. Pour cause, les vagues de tempête provoquent l’effondrement des falaises et des zones côtières plus friables où ont été érigées les Moaï. Les Pascuans observent avec tristesse les ossements de leurs ancêtres qui font surface à mesure que les plateformes sont érodées. Plusieurs statues sont ainsi menacées de disparaître dans les deux prochaines décennies, une perte pour le patrimoine culturel de l’humanité. Avec une élévation du niveau de la mer de 1 à 2 mètres, prévue avant la fin du siècle, la situation est alarmante.

L’Île de Pâques fait partie des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1995 et l’essentiel de son économie est aujourd’hui tributaire du tourisme. Le rehaussement du niveau de la mer affectera donc aussi bien le passé de l’île que son avenir. Les Pascuans devront-ils émigrer, chassés par les changements climatiques, même si le relief de l’île culmine à 507 mètres ? En effet, les zones habitables et cultivables y sont très rares et les moyens pour la population de maintenir une économie minimale sont peu diversifiés.

Plusieurs populations du Pacifique sont menacées par le même sort. Les îles Marshall, Vanuatu, Kiratibi et même la méga-cité de Jakarta sont vouées à être inondées ou fortement affectées dans les prochaines décennies. L’enjeu des réfugiés climatiques n’est pas près d’être réglé !

Les changements climatiques posent des problèmes d’équité et de justice. Ce sont surtout les pays industrialisés et maintenant les grands pays émergents qui ont causé l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère par leur consommation de carburants fossiles et par leur agriculture. Les premières victimes de l’augmentation du niveau de l’océan qui résulte du réchauffement du climat sont des gens qui ont très peu contribué à ce problème. Non seulement les engagements des pays signataires de l’Accord de Paris sont-ils très insuffisants pour contenir le problème et stabiliser le climat, mais les questions de l’aide aux pays les plus vulnérables et de l’accueil des réfugiés climatiques piétinent. On peut donc comprendre la tristesse des Pascuans.

Joyeuses Pâques à tous, mais n’oubliez pas de poser un geste pour réduire vos émissions de gaz à effet de serre ou les compenser. Les Pascuans ont coupé leurs arbres. Pourquoi ne pas en planter avec Carbone boréal ? (http ://carboneboreal.uqac.ca)