Une percée technologique

D’abord un petit rappel de chimie. L’aluminium est l’un des éléments les plus abondants dans la croûte terrestre, mais il n’existe pas à l’état métallique, comme l’or par exemple. L’aluminium est présent sous diverses formes dans les roches, les argiles ou des terres comme la bauxite. C’est dans les gisements de bauxite qu’on retrouve des concentrations économiquement exploitables d’alumine dont la formule est Al2O3, c’est-à-dire une molécule composée de deux atomes d’aluminium et de trois atomes d’oxygène. L’alumine est une molécule extrêmement stable, ce qui veut dire qu’il faut énormément d’énergie pour la briser. Dans les alumineries, c’est l’électricité qui fournit cette énergie dans un processus appelé électrolyse. L’électrolyse utilise depuis la fin du dix-neuvième siècle des cuves dans lesquelles des anodes composées de carbone servent à capter l’oxygène de manière à ce qu’il puisse être arraché à l’aluminium. Au terme de la réaction, on retrouve de l’aluminium métallique sous forme liquide dont on fait des alliages et des lingots. C’est ce qu’on appelle l’aluminium primaire. Il est ensuite envoyé sur le marché pour la transformation.

La réaction produit de nombreux polluants qui viennent de la combustion des anodes. Plusieurs parmi les plus nocifs sont captés par les systèmes d’épuration de l’air et les nouveaux procédés sont beaucoup plus propres que les anciennes cuves Söderberg qui ont aujourd’hui disparu de nos alumineries. Il n’en demeure pas moins que chaque tonne d’aluminium produite émet environ 2 tonnes de CO2, comme nous produisons au Québec 2,8 millions de tonnes d’aluminium primaire par année, cela signifie plus de 5 millions de tonnes de CO2 par année dans notre bilan. Le nouveau procédé d’Elysis n’utilisera plus d’anodes de carbone et permettra de séparer l’aluminium de l’oxygène dans les cuves d’électrolyse sans émissions de CO2. C’est une excellente nouvelle pour le climat et pour l’économie de la région et du Québec.

En effet, les alumineries du Québec font partie des grands émetteurs finaux règlementés par le Système de plafonnement et d’échange des émissions (SPEDE) qui permet un marché du carbone entre la Californie, le Québec et l’Ontario. À partir du moment où la nouvelle technologie remplacera les cuves existantes dans les usines, les alumineries auront réalisé des réductions d’émissions qui iront bien au-delà des exigences gouvernementales. Elles pourront donc recevoir des certificats chaque année qui pourront être mis en marché et vendus aux autres grands émetteurs qui n’ont pas réduit leurs émissions ou aux importateurs et distributeurs de carburant qui vous refileront la facture sur votre litre d’essence ou sur la bonbonne de propane. C’est le principe pollueur-payeur. Ainsi va la vie !

En revanche, les nouvelles usines ne disposeront pas de ces crédits. On peut donc penser que la première phase du déploiement de la technologie s’appliquera aux alumineries existantes et qu’il pourra augmenter leur durée de vie et leur rentabilité. Cela contribuera aussi à l’atteinte de la cible de réduction des émissions du Québec de -37,5 % en 2030, mais pas de façon déterminante. En effet, le déploiement de la technologie pour remplacer les cuves se fera au plus tôt à partir de 2025 et devrait prendre au moins dix ans. La semaine prochaine nous verrons comment cela peut être significatif à l’échelle mondiale.

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