Une toxicité inattendue

Le microbiote est une expression qui désigne l’ensemble des communautés microbiennes qui vivent sur notre peau et dans notre tube digestif. Chaque semaine, de nouvelles découvertes nous montrent l’importance de ces communautés pour le maintien de notre santé. Si c’est le cas pour les humains, on imagine que ça l’est aussi pour les animaux. En effet, les animaux bénéficient largement de communautés microbiennes qui leur sont transmises dès la naissance et qui colonisent leur peau, leurs poils, leurs plumes et leur intestin. Ces populations bactériennes protègent leur hôte contre les pathogènes qui pourraient les affecter, elles contribuent à améliorer leur digestion et l’absorption des nutriments essentiels. Les ruminants par exemple dépendent de bactéries méthanogènes qui leur permettent de digérer les végétaux. Les termites hébergent des protozoaires qui digèrent la cellulose du bois qu’ils consomment, ce qui leur permet d’en tirer de l’énergie sous forme de sucre. Ces associations qui sont bénéfiques aux deux partenaires sont essentielles. Elles constituent le secret du fonctionnement des écosystèmes.

Cette semaine, dans le Proceedings of the National Academy of Sciences, un article a attiré mon attention. Des chercheurs de l’Université du Texas ont fait un lien entre la mortalité des abeilles et l’utilisation de glyphosate. Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé sur la planète. On l’utilise d’autant plus que depuis une trentaine d’années des plantes résistantes au glyphosate ont été développées par génie génétique pour les grandes cultures comme le soya. Mais par quel mécanisme un herbicide peut-il affecter un insecte pollinisateur ?

En fait, le glyphosate n’est pas directement toxique pour les insectes, mais il affecte des bactéries qui peuplent leur intestin. Avec un microbiote réduit, les abeilles absorbent moins bien les aliments et elles sont plus susceptibles aux pathogènes. Dans leur étude, les chercheurs montrent que l’exposition d’abeilles au glyphosate, à des teneurs typiquement retrouvées dans le nectar des fleurs, suffit à altérer leur flore intestinale et augmente ainsi leur susceptibilité à une bactérie opportuniste. La mortalité des abeilles soumises à ce traitement peut atteindre 80 % en quelques jours.

Cet exemple devrait nous faire réfléchir sur les dangers cachés de la dispersion de produits chimiques dans l’environnement. L’industrie agrochimique produit depuis un siècle des variétés de molécules qui ont été répandues dans la nature sans qu’on s’interroge sur leurs effets toxiques. Les pesticides destructeurs que dénonçait le « Printemps silencieux » de Rachel Carson en 1962 ont en bonne partie été interdits en raison de leurs effets écotoxicologiques et de leur persistance dans l’environnement. Aujourd’hui, le glyphosate et les néonicotinoïdes sont au banc des accusés et commencent à être interdits. Si on veut faire une agriculture qui respecte le développement durable, il faut revoir en profondeur nos manières de faire et être beaucoup plus sévères pour l’homologation de produits chimiques répandus à large échelle. Malheureusement, on découvre trop tard que le mal est fait. Les agriculteurs biologiques travaillent différemment dans le respect d’un écosystème en santé. Il faudrait les encourager.