Le cauchemar d’Hedwige

À la fin du dix-neuvième siècle, de nombreuses espèces d’oiseaux exotiques avaient été amenées au seuil de l’extinction par la demande des modistes pour leurs plumes. Entre 1875 et 1905, des centaines de milliers d’oiseaux comme les aigrettes, les hérons, les sternes, mais aussi les hiboux et chouettes ont été chassés commercialement pour orner les chapeaux des dames élégantes. Certains ornements plus extravagants mettaient en vedette des chapeaux avec un oiseau entier empaillé et même un nid avec les œufs et la mère couveuse. Cela nous apparaît aujourd’hui bizarre, mais la mode est irrationnelle, c’est bien connu. Le phénomène a amené de nombreuses espèces au bord de l’extinction. Le phénomène était amplifié par la loi de l’offre et de la demande. Plus un oiseau était rare, plus on donnait cher pour ses plumes.

 Ce genre de choses est-il devenu impossible aujourd’hui ? Si on en croit un article paru dans le numéro de juillet du journal scientifique Gobal Ecology and Conservation (http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2351989417300525) une espèce de chouette indonésienne est aujourd’hui menacée par la mode mondiale des aventures de Harry Potter. L’oiseau fait l’objet d’un commerce en pleine croissance depuis une vingtaine d’années. On en recensait une centaine de spécimens vendus sur les marchés chaque année avant 2001. En 2016, il s’en est vendu plus de 13 000.  La ressemblance du pauvre oiseau avec Hedwige, compagnon de l’apprenti sorcier lui a valu le surnom de Harry Potter’s owl, une condamnation sans appel. En effet, la mode mondiale des livres de J. K. Rowling et leur traduction en Indonésie a créé une demande pour cet oiseau comme animal de compagnie. On retrouve ces oiseaux uniquement sur les îles de Java et de Sumatra où les braconniers les capturent pour alimenter le marché.

 Un cinquième de la population indonésienne a aujourd’hui accès à Internet. Les gens échangent sur les réseaux sociaux les bonnes adresses pour s’offrir ce chouette oiseau de compagnie. Les chercheurs ont manifesté leur inquiétude sur la capacité des populations sauvages à soutenir cette demande. L’organisation internationale Traffic, basée en Grande Bretagne qui s’intéresse au commerce des espèces rares a aussi noté que l’exportation des chouettes indonésiennes vers l’Inde est en augmentation soutenue depuis 2010.  Cela représente un énorme potentiel pour une augmentation encore plus grande de la demande. Malheureusement, ces oiseaux supportent très mal la captivité et meurent habituellement dans le mois qui suit leur capture.

 Même si la loi indonésienne proscrit la vente d’animaux sauvages pour lesquels il n’y a pas de quota, le pays ne fait pas de recensement des hiboux et chouettes. Il y a donc péril en la demeure. Habituellement, dans ce genre de situation, les oiseaux sont perdants d’avance. Les chercheurs concluent que les hiboux et chouettes de l’archipel indonésien devraient être ajoutées sur la liste des espèces menacées du pays.

 Peut-on imputer la popularité du commerce des hiboux et chouettes indonésiens à la popularité d’un personnage de fiction ? Comme dans beaucoup de problèmes environnementaux, la question est probablement plus complexe. Une coïncidence n’est pas une explication. Néanmoins, l’hypothèse est intéressante et l’anecdote permet de nourrir notre réflexion sur le sort des espèces sauvages soumises au commerce dans notre société mondialisée. Il existe une convention sur le commerce des espèces menacées (https://cites.org/fra/disc/text.php). Qu’il s’agisse de poissons d’aquarium, de reptiles, de mammifères ou d’oiseaux vivants ou non, les douaniers ont des consignes précises. Les amendes peuvent être salées. L’équilibre de l’offre et de la demande, qui est la première règle de l’économie, peut difficilement être assuré lorsqu’une mode augmente artificiellement la demande. L’exemple des chouettes indonésiennes est éloquent.

Claude Villeneuve
Professeur titulaire
Directeur de la Chaire en éco-conseil
Département des sciences fondamentales
Université du Québec à Chicoutimi

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