L’ironie du char ?

C’est la période des Fêtes. Sur les routes enneigées, pas de clochettes qui tintent dans la nuit. Le bon pépère cramoisi aurait bien du mal à se promener dans la congestion automobile ! Gageons que ses caribous forestiers (ceux de la toundra sont en voie de disparition paraît-il !) seraient klaxonnés. Sur les routes où circulent les voitures, il n’y a de place, ni pour les gens, ni pour les bêtes. Une étude parue dans Science le 16 décembre indique qu’une route a des impacts environnementaux sur 1 kilomètre de la chaussée. Ironie du char…

 L’automobile représente la deuxième dépense des ménages québécois, tout juste après le logement, mais bien avant la nourriture. Pourtant l’industrie automobile crée très peu d’emplois au Québec et tout notre pétrole est importé. Ironie du char…

 Vous souvenez-vous de la bataille des écologistes contre la centrale au gaz Le Suroît ? Greenpeace disait alors que la centrale allait produire autant de pollution de l’air que l’équivalent de 20 000 voitures supplémentaires sur nos routes à chaque année (http://www.greenpeace.org/canada/fr/archive/presse/communiques/le-suro-t-equivaut-a-20-000-vo/). Or, de 2006 à 2013, il s’est ajouté en moyenne 80 000 véhicules par année au Québec. Cette tendance s’est poursuivie depuis pour porter le parc automobile québécois à plus de 4,5 millions de véhicules à la fin de 2015, ce qui augure mal pour la qualité de l’air urbain et la lutte aux changements climatiques ! Ironie du char ?

 Il manque toujours de places de stationnement quand on veut aller quelque part. Ces stationnements sont pourtant vides en dehors des périodes d’affluence. À l’UQAC, on a évalué qu’une place de stationnement exigeait 48, 5 mètres carrés de surface dédiée (plus qu’un appartement de 4 et 1/2 pièces). Cette surface a une valeur foncière, mais il faut aussi la déneiger, y peindre des lignes, en assurer la sécurité et la paver à l’occasion. Les usagers ne payent qu’une petite partie de ces coûts qui sont reportés sur la collectivité, les commerces ou les institutions. Chaque automobile exige en moyenne trois places de stationnement (une à la maison, une dans les commerces et une au bureau) qui ne peuvent naturellement pas être utilisées en même temps. On manque d’espace pour les parcs, les pistes cyclables, les logements sociaux. Ironie du char ?

 L’automobile moyenne au Québec est utilisée environ une heure par jour. Cet instrument de mobilité est donc immobile à plus de 95% de son existence. Ironie du char ?

 Beaucoup de gens n’aiment pas l’hiver parce que les automobiles n’y sont pas bien adaptées. Elles démarrent mal par temps très froid, prennent du temps à être dégivrées, exigent qu’on déneige constamment les routes et les stationnements pour éviter les accidents, consomment beaucoup plus d’essence par kilomètre (surtout si on laisse tourner le moteur à l’arrêt). On s’habille plus légèrement sous prétexte que l’habitacle est chauffé, mais on gèle pour y monter ou en descendre. Ironie du char ?

 Notre monde ne peut plus se penser sans auto ? J’ai bien peur que vous n’ayez raison. Mais s’il y a un endroit où il est facile de faire des gains d’efficacité énergétique, d’efficacité économique et de réduction de la pollution au Québec, c’est dans le domaine du transport. Puisque l’automobile est à la portée de tous, nous avons tous le pouvoir d’agir. Et comme la nature humaine a horreur des efforts, il faut aussi que nos municipalités, notre gouvernement provincial et nos entreprises nous aident un peu.

« L’ironie du char » est le titre d’un livre sur l’automobile et la crise des transports à Montréal publié par Jean-Paul Dagenais en 1982 De toute évidence, 35 ans plus tard, la question est toujours d’actualité et les problèmes n’ont cessé d’empirer. Pensons-y ensemble en 2017.

Claude Villeneuve 
 Professeur titulaire
 Directeur de la Chaire en éco-conseil
 Département des sciences fondamentales
 Université du Québec à Chicoutimi

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