Prévenir plutôt que guérir

La mobilité du futur n’est pas si loin si on en croit Daniel Quiggin, un chercheur invité au Royal Institute of International Affairs en Angleterre. Dans un article récent paru dans la sélection du Forum économique de Davos, il a analysé la compétition entre les voitures conventionnelles (VC) et les véhicules électriques (VÉ) en identifiant les facteurs qui risquent d’en modifier l’issue  (https://hoffmanncentre.chathamhouse.org/article/scrapping-the-combustion-engine-the-metals-critical-to-success/). Le pronostic est étonnant.  L’analyse des tendances montre que les VÉ formeront la majorité des ventes de véhicules neufs quelque part entre 2030 et 2040 si les choses continuent sur la même trajectoire. En effet, les problèmes actuels reliés à la motorisation électrique (autonomie, prix d’achat et temps de recharge) seront atténués rapidement et se rapprocheront des performances des VC très rapidement, pour ensuite devenir meilleurs et donc déclasser le moteur à combustion interne qui propulse les autos depuis plus d’un siècle. Mais le prix et la disponibilité de certains métaux critiques pourraient constituer un frein à cette prédiction optimiste.

 Quelques indicateurs soutiennent la montée en puissance des VÉ : la Chine exige de ses constructeurs de vendre 8% de ce type de véhicules en 2018 et 12% en 2020. L’Inde a pris un engagement pour  qu’il ne se vende plus de VC en 2030. La France, l’Angleterre, la Suède, l’Allemagne et les Pays Bas ont pris l’engagement de bannir les VC en 2040. Voilà pour la volonté politique. Il faut dire que le coût des VÉ  devrait égaler celui des VC aussi tôt qu’en 2025, si on en croit le gouvernement norvégien qui planifie éliminer ses subventions à l’achat des VÉ à ce moment. On compte donc sur le marché pour faire le reste.

 Les VÉ dépendent de deux minéraux critiques pour leur batterie : le lithium et le cobalt. Ces métaux sont légers et jouissent d’une bonne densité énergétique. Cela permet de faire des batteries qui peuvent à la fois contenir une charge importante, permettant plus d’autonomie et la possibilité de nombreux cycles de charge, ce qui augmente leur durabilité.

 La cible pour la parité des prix VÉ/VC réside dans le coût des batteries. On estime qu’elle sera atteinte quand le coût des batteries  lithium-ion atteindra 100$/KWh alors qu’il est actuellement à 273$. Ce prix est en baisse rapide et il devrait toucher la cible avant 2025. Mais c’est là que le bât blesse. Pour faire les batteries pour un VÉ aujourd’hui, il faut autant de lithium que pour 10 000 téléphones intelligents. Comme la capacité de production de lithium se développe plus lentement que la demande dont on estime qu’elle pourrait doubler ou même tripler en 2025, les spéculateurs ont commencé à parier sur une pénurie de ce métal critique pour le VÉ. Naturellement, si le prix du lithium explose, le prix des batteries en fera autant et les tendances évoquées plus haut seront cassées en raison d’un manque de compétitivité des VÉ.

 La solution la moins coûteuse à cette pénurie appréhendée serait probablement d’augmenter le recyclage et la réutilisation des batteries lithium-ion dans les appareils électroniques. Actuellement, seulement 5% de ces batteries sont recyclées, comparativement à 99% pour les batteries au plomb.  Cela pourrait se faire par une combinaison d’éco-conception pour que les batteries puissent être réutilisées à la fin de vie des appareils électroniques et des VÉ, et par des innovations qui rendent plus efficace le recyclage du lithium et du cobalt. Cela permettrait de récupérer les métaux critiques pour la production de nouvelles batteries.

 Nous avons l’occasion d’anticiper les problèmes que la pénétration des VÉ sur le marché pourrait occasionner. Aurons-nous l’intelligence d’y apporter des solutions durables en amont ou continuerons-nous, comme d’habitude, d’y penser après coup ?

Claude Villeneuve
Professeur titulaire
Directeur de la Chaire en éco-conseil
Département des sciences fondamentales
Université du Québec à Chicoutimi