La nature, un bon placement ?

Pourquoi les assureurs s’intéressent-ils à investir dans la protection de certains milieux comme les mangroves, les récifs coralliens et les marais côtiers ? Pourquoi devrait-on payer des populations rurales pour qu’ils protègent les forêts ? La réponse est la même : les services que nous rendent les écosystèmes ont une valeur économique réelle qui dépasse largement le coût de leur protection.

 Les mangroves sont des forêts de palétuviers et d’autres arbres résistants à l’inondation de leurs racines. On les trouve un peu partout au bord des côtes tropicales. Tout comme les récifs coralliens côtiers, elles protègent le littoral contre l’énergie des vagues pendant les fortes tempêtes et évitent ainsi que le sol soit emporté par l’érosion. Pour les assureurs, elles représentent une protection efficace pour éviter d’avoir à payer les dommages causés aux propriétés riveraines. C’est d’autant plus important que durant la décennie 2005-2015, les dommages de ce type ont augmenté de 31% par rapport à la précédente et que cette tendance ne risque pas de s’atténuer.  Dans un rapport publié en juin par l’assureur Lloyd’s, les auteurs identifient plusieurs pistes de financement, avec des bénéfices attendus aussi bien pour la conservation des écosystèmes que pour la prévention des dégâts climatiques.

Dans une approche financière mettant en valeur les efforts de conservation du littoral et des outils financiers novateurs aussi bien pour assurer les dégâts que pour financer la prévention naturelle, les auteurs proposent de réorienter partiellement les fonds normalement dédiés à la réparation vers la prévention naturelle. Pour Lloyd’s, la prise en compte de ce capital naturel pourrait d’ailleurs bénéficier aux clients, par exemple les villes côtières, dont les frais d’assurance pourraient être revus à la baisse si la compagnie estime qu’ils sont dotés de protections naturelles en état satisfaisant.

Mais comment faire lorsqu’il faut maintenir des populations locales qui tirent leur subsistance de la coupe des forêts ? Un mécanisme appelé REDD+ propose de payer les habitants pour protéger les forêts. Bien sûr, en évitant la déforestation, on peut conserver du carbone stocké dans les arbres et maintenir les autres services de l’écosystème comme la production d’aliments, la purification de l’eau et la biodiversité. Malheureusement ces bénéfices sont peu ou mal appréciés des populations locales et les paiements ne sont pas toujours bien répartis au sein des populations. Cela explique que peu d’exemples de succès patents et durables aient été enregistrés jusqu’à maintenant. Il se trouve souvent des « p‘tit-vites » pour couper illégalement les arbres qu’on devait conserver. L’efficacité de ces projets est rarement évaluée avec suffisamment de rigueur, ce qui met un bémol sur les bénéfices de ce type d’opération

Dans la revue Science du 20 juillet dernier, on rapporte le cas d’un projet en Ouganda qui a fort bien réussi. En effet, sur un échantillon de villages choisis au hasard dans le pays, on s’est rendu compte que le couvert forestier montrait une ouverture de 4,2% autour des 60 villages où on avait payé les gens pour protéger la forêt alors que pour les 61 villages qui ne recevaient rien, cette ouverture était de 9,1%. Pour une somme de 40$ par hectare, équivalent à ce que leur aurait rapporté la coupe du bois cela a été un incitatif significatif pour conserver les forêts.

Les services que nous rendent les écosystèmes ont une valeur économique immense mais ils n’ont pas encore été intégrés dans les analyses économiques. Il est de plus en plus évident qu’il est plus avisé d’y investir avec le concours des populations locales. Cela renforce la pertinence du Programme de développement durable à l’horizon 2030 qui veut à la fois réduire la pauvreté, maintenir les écosystèmes, lutter contre les changements climatiques et se protéger de leurs effets.

Claude Villeneuve
Professeur titulaire
Directeur de la Chaire en éco-conseil
Département des sciences fondamentales
Université du Québec à Chicoutimi

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