Mettre la marine au pas

La mondialisation des échanges économiques qui s’accélère depuis plus de 40 ans a permis le développement exponentiel du transport maritime. Celui-ci s’est en effet multiplié par deux depuis 1990 alors qu’on délocalisait la production industrielle vers les pays émergents, transportant ainsi de plus en plus de biens manufacturés et de matières premières d’un continent à l’autre. Mais si les bateaux naviguent d’un pays à l’autre, les armateurs eux, sont soumis aux règles du pays dans lequel ils sont immatriculés (ce qu’on appelle le pavillon) jusqu’à ce qu’ils pénètrent dans les eaux territoriales du pays de leur destination. Cela signifie que les règles qui s’appliquent en termes de fiscalité, de salaires et d’inspection sont déterminées par le pavillon alors que les règles de navigation, de pollution et autres sont appliquées dans les eaux territoriales par les pays dont les entreprises font appel aux services des armateurs. Cette situation favorise un très grand laxisme dans le domaine du transport maritime. En effet, 71% du tonnage marchand était enregistré dans des pavillons de complaisance en 2016. Ce sont des pays comme le Panama, le Libéria ou les Îles Marshall, où les armateurs jouissent de très faibles contraintes fiscales et d’un droit du travail quasi inexistant.  Cela explique bien des histoires d’horreur.

 En revanche, en vertu du droit international de la mer, les autorités portuaires du pays d’accueil peuvent arrêter des navires et forcer les armateurs à y effectuer des réparations lorsque leur état est jugé dangereux. Des amendes peuvent aussi être imposées pour des contrevenants. Dans le monde de la marine, les meilleures pratiques sont donc le plus souvent des mesures volontaires des armateurs et en général, ces industriels sont réfractaires à la réglementation. Celle-ci a toutefois sa raison d’être, comme on le constate si on étudie les accidents pétroliers.

 Dans un rapport publié par la Fédération internationale des armateurs pétroliers en début d’année, la tendance des accidents impliquant des déversements de pétrole de plus de 700 tonnes est en nette régression depuis les années 1970. La moyenne annuelle de ces déversements de grande importance est passée de 24,5 entre 1970 et 1980  à 3 dans la décennie 2000-2010 et à 1,8 entre 2010 et 2015. C’est d’autant plus remarquable que le trafic n’a cessé d’augmenter pendant toute cette période. Il n’en demeure pas moins que 7000 tonnes d’hydrocarbures ont été déversées dans les océans en 2015, conséquence de deux événements majeurs et de six fuites d’amplitude moyenne comprises entre 7 et 700 tonnes.

La raison est simple. Après les grands naufrages, comme l’Exxon Valdez en 1989, l’Erika en 1999 et le Prestige en 2002, de nombreuses réglementations ont été mises en place pour limiter les pollutions. Les Etats-Unis ont été les premiers à prendre des mesures avec l’Oil Pollution Act en 1990, avant d’être suivis par l’Union européenne. Malgré les protestations des armateurs, la structure des navires a changé avec la généralisation des pétroliers à double coque, le nombre des contrôles a augmenté et le montant des amendes est devenu dissuasif, atteignant le million de dollars ou plus pour des déversements volontaires. Cela coûte désormais moins cher de déverser les déchets d’un navire dans une zone portuaire dédiée au déballastage que de payer une amende pour dégazage en mer. Money talks !

 La structure des transports maritimes internationaux rend difficile d’établir les responsabilités en cas d’accident. Compte tenu des impacts des naufrages et accidents maritimes, de la tentation de faire des économies à tout prix, on ne peut que souhaiter que le transport maritime soit mieux règlementé dans l’avenir. Devant la fragilité grandissante des écosystèmes océaniques et de certaines espèces menacées comme la baleine noire, il faut plus de règles.  Les mesures volontaires ne seront jamais suffisantes.

Claude Villeneuve
Professeur titulaire
Directeur de la Chaire en éco-conseil
Département des sciences fondamentales
Université du Québec à Chicoutimi

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